Boucles auburn, silhouette longiligne, il émane d'Anne Weber une lumineuse évanescence. Que sa conversation toujours à l'affût du mot juste vient aussitôt tempérer. Voilà pour l'extérieur. Très vite, sa compagnie invite à sonder des contrées plus intérieures. Intérieure comme cette langue maternelle que cette native d'Offenbach, près de Francfort, porte nichée au creux de son être, mais qui n'affleure que par une pointe infime d'accent, érodé par quelque trente ans de vie passée en France. Pays qu'elle n'a plus quitté depuis un "banal séjour comme jeune fille au pair », suivi d'études littéraires à la Sorbonne.

"Le français est toujours une langue étrangère, explique la romancière. C'est comme si ma peau était l'allemand et le français, un manteau, un habit." On s'étonne alors qu'elle ait écrit ses deux premiers livres, Ida invente la poudre, (Seuil, 1998) et Première personne (Seuil, 2001), dans la langue-habit plutôt que dans la langue-peau, rejoignant la poignée d'écrivains célèbres qui ont choisi d'écrire dans une langue autre que maternelle, Beckett, Conrad... "La langue étrangère demande un éloignement que ne requiert pas la langue maternelle. Cette mise à distance me semblait mieux convenir à l'écriture. Rien ne va de soi, rien n'est naturel, tout vous est extérieur, la musique, les expressions toutes faites, les sonorités. Alors que la langue maternelle, on fait corps avec elle, comme des doigts qui glisseraient tout seuls sur un clavier", répond-elle. Paradoxe, elle déclare aussi s'être sentie "plus intimidée, plus écrasée" à la fois par l'allemand et par les auteurs de langue allemande, Hölderlin, Kleist, Kafka...

En 1997, quand paraît son premier livre écrit en français, Ida invente la poudre, ses amis et parents allemands ne peuvent le lire... Qu'à cela ne tienne, elle le traduira elle-même ! Ce statut ne relève-t-il pas d'un grand écart schizophrénique ? Anne Weber y verrait plutôt des avantages : "Souvent, le traducteur en arrive à détester l'auteur qu'il traduit, à ne voir plus que ses faiblesses. Dans mon cas, je ne peux en vouloir qu'à moi-même, je peux réécrire et prendre des tas de libertés !"

A partir de son troisième roman, Cerbère (Seuil, 2004), elle tourne casaque et écrit cette fois d'abord en allemand pour traduire ensuite en français. Sans doute parce que c'était un livre plus autobiographique, écrit à un moment où son père avait failli mourir. "C'était étrange, car Cerbère est une ville-frontière et que de l'autre côté, à Port-Bou, Walter Benjamin s'était suicidé", se souvient-elle. Le thème de la mort est aussi abordé dans son dernier roman, Vallée des merveilles. Seul dans un petit port du Finistère, Milan "a perdu à peu près tout ce qu'on peut perdre : travail, maison, femme, enfant, livrets d'épargne, cheveux". Un jour, il y rencontre une femme étrange qui lui donne un fugace baiser avant de disparaître. Il se rend à Paris, à la recherche de la mystérieuse inconnue qui a pour nom Lynx, puis il la retrouve et l'aime. A peine né, le grand amour est aussitôt foudroyé. Milan repart à la recherche de Lynx, cette fois au royaume des morts.

Je crois à l'amour »

Un livre qui revisite le mythe d'Orphée ? "A la suite de Dante, Virgile, je me suis demandé comment on pouvait aujourd'hui visiter les morts." Mais le roman fait surtout la part belle à l'amour. "Dans ces instants-là, autant que des êtres humains et des bêtes, ils étaient des dieux", peut-on y lire à propos d'une scène d'amour. Anne Weber croit-elle au grand amour ? La réponse fuse aussitôt, sans ambages : "Oui, j'y crois." Tout en avouant se sentir à contre-courant de l'air du temps. "La mode est à l'amour cru, violent, désenchanté chez des auteurs comme Houellebecq. Mais je pense qu'il s'agit d'une pose..."

Son roman est traversé de poésie, de scènes singulières comme celle, aussi fascinante qu'obscène, où l'on voit un chien s'accoupler au sable de la plage ou encore celle où Lynx demande à une Coréenne de les prendre en photo, elle et Milan. Avant de lui expliquer qu'elle ne tient pas à posséder la photo. Il lui suffit qu'elle existe... Autre figure poétique, celle de Max Jacob, personnage du livre. D'autant que le poète est originaire de cette Bretagne qu'Anne Weber aime tant. "Ma seconde Heimat...", lâche-t-elle dans un souffle, avant de préciser qu'il s'agit là d'un de ces fameux mots allemands intraduisibles...

Vallée des merveilles, Anne Weber, Seuil, 18 euros, ISBN : 978-2-02-107381-2, tirage 3 500 ex., parution le 8 mars.

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