Roman/France 5 mars Marie Maher

Une petite ville française lambda désertée, à deux heures de Paris, sa Grande rue, son monument aux morts de la guerre de 14-18 qui trône depuis 35 ans au milieu du parking d'une supérette, et surtout sa gare. Avec des trains qui passent plusieurs fois par jour. Certains s'arrêtent, d'autres, plus rapides, non. Pour s'arracher de là, il faut partir dans la direction opposée de sa destination finale, la capitale, prendre une correspondance puis repartir en sens inverse et repasser devant « la maison des parents » en bordure de la voie ferrée. Cette illogique ligne de fuite qui contenait la promesse de « devenir une autre », la narratrice de l'intrigant premier roman de Marie Maher la parcourt à l'envers et en voiture pour assister à l'enterrement de son père. Une corvée dont elle s'acquitte avec une négligence distante, impatiente que tout ça soit terminé, les yeux secs, soulagée. Et elle commente avec détachement l'événement. « La boîte est maintenant tout au bord du trou. Tu n'as jamais été si près du but (...) Tu fais un énorme « ploc » quand tu arrives en bas. La discrétion n'a jamais été ton fort. »

Si la tristesse n'est pas de mise, c'est que l'ordre n'est pas le bon : la mère, « une reine », n'aurait pas dû être la première à mourir. Et sa fille lui en veut de l'avoir laissée seule en face-à-face avec celui dont elle dresse le portrait en tyran domestique, en Elvis Presley décati, vulgaire et brutal. Il s'agit aussi d'en finir avec la maison « démodée », débarrasser les affaires de la mère jamais triées, avant la vente. Cette maison et son jardin en surplomb des rails, derniers lieux témoins de la fille maltraitée qu'elle a été et qu'elle revoit dans le huis clos pesant de la cuisine familiale, dessinant des mappemondes dans les traces de café sur la toile cirée. Il faut donc enterrer, avec le père, l'adolescente qui occupait « la chambre au sous-sol, enfin la chambre de celle qui voulait prendre des trains qui vont en arrière pour en prendre d'autres qui vont plus loin ». En voix dissociées, froidement obsessionnelles, aller-retour entre le présent où un étrange chien gris surgit comme une apparition et « tout ce qui s'est passé avant », dont « l'accident » du père qui explique la présence de deux policiers à ses obsèques, la fille du train dresse le dernier inventaire avant son évasion définitive. Premier livre, beau geste.

Marie Maher
Pour la beauté du geste
Alma éditeur
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 15 euros ; 128 p.
ISBN: 9782362794780

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