C'est une mission méconnue mais précieuse pour les historiens et chercheurs : la Bibliothèque nationale de France (BNF), qui gère le "dépôt légal du web" en France, a lancé une campagne d'archivage de contenus mis en ligne au temps du coronavirus, comme elle le fait à chaque grand événement.
La BNF garde ainsi la mémoire "de la manière dont les gens se mobilisent, par exemple, avec le hashtag #onapplaudit, mais aussi les commentaires sur la gestion de la crise avec #OuSontles masques ou #Onoublierapas, les questions que se posent les gens telles que #coronavacances, les journaux de confinement…", détaille Laurence Engel, directrice de la BNF, à l'AFP.
Sur le coronavirus, le dispositif a été enclenché dès janvier. Il entend brasser large: au-delà des sites institutionnels et leurs déclinaisons sur les réseaux, et des contenus produits par les médias, la BNF recueille des échantillons de tweets, photos ou vidéos partagés par tout un chacun, pour obtenir une "photographie du web" aussi fidèle que possible.
Un processus réactif
"Dès qu'il se passe quelque chose, les équipes chargées de la collecte se mettent en situation de repérer sur le web tout ce qui peut être intéressant", raconte Laurence Engel. Elles s'appuient aussi sur une cinquantaine de spécialistes au sein de la BNF, qui, chacun dans leur discipline, leur remontent des mots-clés ou hashtags à suivre.
"Tout phénomène qui se déploie sur le Net donne lieu à l'identification de sites, hashtags, comptes qui nous permettront demain d'avoir une vision large de ce qui s'est dit, de ce qui a été ressenti, de ce qui a circulé, et c'est ce qu'on fait sur le Covid depuis janvier", avec les premiers mots clés comme #Jenesuispasunvirus et #CoronavirusenFrance, détaille la présidente de la BNF.
A la mi-avril, ce corpus atteignait déjà 2000 sources, dont de nombreuses pages qui ne sont déjà plus accessibles. La réactivité s'impose, car "sur Internet, les choses disparaissent très vite, si on ne les conserve pas", relève Laurence Engel.
Une longue tradition
Ces ressources seront destinées principalement aux chercheurs, historiens, documentaristes, mais aussi aux journalistes ou aux artistes, pour nourrir leurs études, reportages et créations. Elles contribuent aussi à des projets internationaux comme celui du Consortium international pour la préservation d'internet (IIPC).
La Bibliothèque nationale de France archive depuis 1996 des sites web français, en lien avec l'organisation américaine de référence, l'Internet Archive. Elle le fait de manière plus complète depuis 2006, date à laquelle cette activité a été sanctuarisée par la loi. Cela représente plus de 4 millions de sites et 2 milliards de pages web collectées par an, de façon automatisée.
C'est le prolongement d'une vocation qui remonte à François Ier, lorsqu'il ordonna, en 1537, que des exemplaires de chaque livre publié dans le pays soient remis à la Bibliothèque du roi, l'ancêtre de la BNF. Ce principe, dit du dépôt légal, s'est étendu à d'autres formes d'œuvres au fil des siècles, dont la presse, les films, l'audiovisuel et même les jeux vidéos.
Pas de patrimoine sans le web
"Si on veut constituer le patrimoine de demain, et qu'il soit le miroir juste et pertinent de notre société, il faut être exactement là où circulent toutes les informations et toutes les opinions", explique Laurence Engel. "On ne peut pas se contenter des oeuvres d'art, sinon aurait une vision très partielle de notre monde. Le web aujourd'hui fait partie de ces espaces", ajoute la responsable.
Cette activité est gérée par huit personnes au sein de l'institution, en association avec des bibliothèques et services d'archives en France et des partenaires à l'étranger.
A chaque grand événement, qu'il soit prévisible (élections, grandes compétitions sportives) ou non (attentats de 2015, incendie de Notre-Dame, mais aussi le mouvement #MeToo ou les "gilets jaunes"...), la BNF mène des collectes ciblées de ces "actualités éphémères". Et ce pour offrir une vision plus complète de la réalité vécue par les Français durant ces périodes particulières.