À sa mort, dans un accident de voiture, le 4 janvier 1960, Albert Camus laissait plusieurs projets inachevés, dont un roman, Le premier homme, décrypté, mis en forme et publié par sa fille Catherine Camus, en 1994 ; ainsi que, posé sur son bureau de Lourmarin, un dossier pour Actuelles IV, un nouveau volume de ses articles et chroniques, après ceux parus précédemment en 1950, 1953 et 1958. Avec une table des matières prévisionnelle.
Le projet fut d’abord repris par sa veuve, Francine, et le poète René Char, l’un de ses amis les plus proches, qui rédigea même un « avertissement » où il précisait : « Camus se proposait d’y travailler encore ». Prévu chez Gallimard, éditeur du prix Nobel 1957, le recueil ne parut jamais, sans doute parce que, dans les années 1960, Camus était en disgrâce auprès des intellectuels, et considéré par ses ennemis, notamment la clique des existentialistes, comme « un écrivain fini », explique Catherine Camus. La suite et la postérité ont prouvé qu’ils avaient tort.
Aujourd’hui, au contraire, Camus apparaît plus nécessaire que jamais. Les éditeurs, dans leurs préfaces, citent quelques extraits de ses textes (articles, chroniques, interviews, Discours de Suède, lettres…) prophétiques. Par exemple : « (…) à l’heure où le réalisme le plus court, une conception dégradée du pouvoir, la passion du déshonneur, les ravages de la peur défigurent le monde, à l’heure même où l’on peut penser que tout est perdu, quelque chose au contraire commence puisque nous n’avons plus rien à perdre ».
Albert Camus, homme libre, homme d’honneur
Homme libre, homme d’honneur qui avait en horreur le mensonge, homme de fraternité, fidèle à ses engagements, comme celui auprès de la République espagnole, Camus se voulait « pessimiste pour le présent et optimiste pour l’avenir ». Cet agnostique avait avant tout foi en l’homme. « Papa fait du bien ! », dit joliment Catherine Camus, qui insiste sur une dimension peu connue de l’écrivain : son humour (noir parfois), son irrésistible drôlerie, son amour de la vie, qui lui a été ôtée à l’âge de 47 ans.
Particulièrement émouvant, son dernier entretien, avec des étudiants étrangers de l’Université d’Aix-en-Provence, le 14 décembre 1959, à l’invitation du professeur François Meyer, lequel a tenté, un an après, d’en restituer le contenu. À un jeune qui lui demandait « Pour quelles raisons la vie vaut-elle d’être vécue ? », le Méditerranéen répondait : « L’amour, le soleil, la mer, la vie... ». Quel plus beau credo ?
Actuelles IV, fort volume thématique et chronologique sous-titré Face au tragique de l’Histoire, fait preuve d’une exceptionnelle richesse et constitue à l’évidence l’un des événements éditoriaux de cette fin d’année. C’est sans doute la dernière fois que paraissent des inédits d’envergure de Camus. Il demeure bien quelques fragments d’un essai qu’il avait en chantier, Némésis - verront-ils un jour le jour ? Mais pas d’Actuelles V à venir : « Pas possible », prévient Catherine Camus, « il n’a pas été prévu par mon père ».
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