Correspondant d'Allemagne. En 1932, Joseph Kessel a 34 ans. Journaliste vedette, il a déjà sillonné la moitié du globe. Écrivain, il est, parmi les poulains de la NRF, le chouchou de Gaston Gallimard, l'un de ceux sur qui l'éditeur et patron de presse mise le plus et à qui il pardonne toutes les frasques. Son roman Les captifs (1926) a reçu le Grand Prix du roman de l'Académie française en 1927. Kessel est également un homme d'action, qui combattit pour la liberté comme pilote durant la Première Guerre mondiale - il recommencera pendant la Seconde, et, résistant, rédigera les paroles du Chant des partisans, avec son neveu Maurice Druon.
Durant les années 1930, ces années passionnantes et angoissantes à la fois durant lesquelles il ne fallait pas être grand clerc pour distinguer la montée des nationalismes, des fascismes, des périls, et la marche vers la guerre, -Kessel se démultiplie. On l'envoie partout. Par exemple, au printemps 1932, Le Matin l'expédie suivre les élections qui s'enchaînent en Allemagne et marquent l'ascension vers le pouvoir d'un certain Adolf Hitler, qu'il appellera toujours « cet ancien peintre en bâtiment ». Hitler est battu en avril à la présidence du Reich par le vieux maréchal Hindenburg et une coalition de modérés, alors qu'à gauche les communistes constituent la seule force d'opposition en mesure d'éviter l'inévitable. Mais leurs ordres venus de Moscou et leurs méthodes musclées ne les servent guère dans l'opinion internationale. Hitler ne sera pas non plus appelé en juillet au poste de chancelier malgré le triomphe de son parti nazi, le NSDAP, qui envoie deux cent trente députés au Reichstag. La république de Weimar se délite sur fond de terrorisme, d'attentats et d'assassinats de militants de tous bords. Du côté des nazis, les sinistres SA sont à la manœuvre. Avant d'accéder à la chancellerie le 30 janvier 1933, Hitler ronge son frein. Kessel, qui le verra et l'entendra au stade de Grunewald à Berlin, avec Goebbels, puis à Dortmund, avec Göring, le décrit comme un « homme imbu de lui-même », d'une incroyable « fatuité ». Le reporter erre dans Berlin, hante les QG des partis politiques et dicte par téléphone ses articles, très écrits, très littéraires. Il le fera encore le 22 avril 1945, pour le France-Soir de Pierre Lazareff, depuis le Rhin où il accompagne le victorieux général de Lattre de Tassigny.
Entre-temps, toujours en 1932, Kessel a profité de sa présence en Allemagne pour se faire introduire dans des bas-fonds qui l'ont toujours fasciné. Par chance, il a noué amitié avec deux repris de justice, Albert et Dick, des espèces de gentlemen malfaiteurs, chics, membres de la toute-puissante société de l'Unterwelt, le « monde souterrain ». Grâce à eux, il explore le Tout-Berlin et le Tout--Hambourg underground, en pleine misère, où tous les expédients (vols, chantage, contrebande, trafics, assassinats...) sont bons pour survivre. Avec un code de l'honneur très strict et une solidarité sans faille, le tout régi par ce mot-clé, si allemand : discipline. Les malfrats ne faisaient pas de politique, mais ils n'hésitaient pas à remettre les jeunes hitlériens à leur place. Kessel le bagarreur préférait sans ambiguïté les voyous aux nazis.
Reportages en Allemagne. 1932-1945
Arthaud
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 25 € ; 352 p
ISBN: 9782081516564