Eclectique, fasciné par la mystique - religieuse ou mythologique - et le psychologique, s'attaquant à tous les grands classiques, fondateur de la Société des amis de Victor Hugo, Jean-Claude Carrière, conteur érudit, aura mis sa plume au service du cinéma, du théâtre et de la littérature durant près de 65 ans.
C'est évidemment du côté du 7e art que son génie a été le plus marquant, touchant à tous les genres. Il a collaboré avec les plus grands cinéastes, récoltant César du meilleur film, Palmes d'or ou Lions d'or au gré des ans: Pierre Etaix, Louis Malle (Viva Maria!, Milou en mai), Luis Bunuel (Belle de jour, Le charme discret de la bourgeoisie, Cet obscur objet du désir), Jacques Deray (La piscine, Borsalino), Milos Forman (Taking off , Valmont, Les fantômes de Goya), Patrice Chéreau (La chair de l'orchidée), Volker Schlöndorff (Le Tambour, Un amour de Swann, Le roi des aulnes), Jean-Luc Godard (Sauve qui peut la vie), Andrzej Wajda (Danton, Les possédés), Nagisa Oshima (Max mon amour), Philip Kaufman (L'insoutenable légèreté de l'être), Jean-Paul Rappeneau (Cyrano de Bergerac, Le hussard sur le toit), Jonathan Glazr (Birth), Michael haneke (Le ruban blanc), Fernado Trueba (El artista y la modelo), Atiq Rahimi (Syngué sabour Pierre de patience), Philippe et Louis Garrel...
Ainsi, il adaptatit l'inadaptatble, passant de Kundera à Giono, de Sagan à Rostand, de Tournier à Dostoïevski, de Mirbeau à Kessel, de Grass à Laclos. Pour le petit écran, il transposa Gaston Leroux (La double vie de Théorphraste Longuet), Gustave Flaubert (Bouvard et Pécuchet), Honoré de Balzac (Le Père Goriot) et lui-même avec La Controverse de Valladolid, son plus beau roman (réédité il y a trois ans chez Flammarion). Sur les planches, il réécrivait Harold et Maude, le texte doux-amer de Colin Higgins, La conférence des oiseaux, poèmes médiévaux persans, ou L'Odyssée, récit fondateur d'Homère.
Car Jean-Claude Carrière écrivait aussi, beaucoup, pour la littérature. Bibliophile, il pouvait posséder une traduction dans une langue rare ou morte d'un ouvrage inclassable. C'est bien l'Orient qui le fascinait, féru de poésie et amoureux de l'invisible, préfaçant de nombreux recueils ou inédits. A jamais attaché au Mahabharata, mis en scène par Peter Booke, et publié chez Belfond puis Albin Michel et Pocket, et même en roman graphique, en 2019 chez Hozhoni, il traduisait et déclinait sa fascination pour les contes et légendes qui ont fondé le bouddhisme.
Le scénario n'était qu'un objet de transition. Le livre était sa passion. Son premier roman, Lézard, est publié chez Robert Laffont en 1957, simultanément à sa série Frankenstein chez Fleuve noir. Il fut l'un des rares auteurs de cinéma à publier la plupart de ses scénarios, y compris ceux de films jamais produits. Il novellisait aussi des films comme les comédies cultes de Jacques Tati (Les vacances de Monsieur Hulot, Mon Oncle). Il se plongeait dans des anthologies (Les plus belles lettres d'amour, Humour 1900, Dctionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement, Dictionnaire amoureux de l'Inde, Dictionnaire amoureux du Mexique, ...). Ecriture doit publier en avril son Abécédaire intime: désordre.
Romancier, on lui doit L'alliance, Le pari, La paix des braves, Les mots et la chose, Mon chèque, Simon le mage ou pour la jeunesse Le jeune prince et la vérité (Actes Sud). Essayiste, il publiait chez Odile Jacob L'argent : sa vie, sa mort, La Paix, Tous en scène, Le réveil de Bunuel, Fragilité, Einstein s'il vous plait ou encore Ateliers... Il coécrivait aussi, avec Umberto Eco (N'espérez pas vous débarrasser des livres) ou le Dalaï Lama (La force du bouddhisme). Il a raconté sa jeunesse dans Le vin bourru ou son attachement à l'Espagne dans Mémoire espagnole, tous deux chez Plon.
C'est sans doute dans Utopie, quand reviendras-tu?, un livre d'entretiens avec Gilles Vanderpooten (L'Aube), qu'il se livre le plus, évoquant son amour pour la nature, son engagement pour l'écologie et ses inquiétudes concernant l'avenir de la planète, mais aussi les inégalités de richesse et l'existence face au vide de l'univers. Jean-Claude Carrière rappelait alors: "Krishna nous le disait déjà dans la Bhagavad-Gita, "Il faut abandonner tout espoir". L’espoir est absurde, il est trompeur, il ne sert à rien. Aucune force, aucun hasard ne se manifestera en dehors de nous. Nous de devons compter que sur nous-mêmes."