2 janvier > Essai France

Au XIXe siècle, Nietzsche avait annoncé la mort de Dieu dans une apparente indifférence. Au XXIe, les agences pourraient bien révéler celle de l’argent. C’est du moins ce qu’imagine et espère Jean-Claude Carrière dans cet essai décapant. En prenant pour principe l’équivalence dieu = argent, l’écrivain et scénariste nous rappelle qu’il a travaillé avec Buñuel, Etaix et que le surréalisme, l’humour et l’irrévérence sont constitutifs de sa manière de voir. Ce qui n’empêche pas de solides connaissances historiques, comme en témoigne cette traversée rocambolesque, un brin morose aussi. Pourquoi avons-nous tous accepté la victoire de l’argent malgré ce que nous en avaient dit Rousseau, Balzac, Hugo, Zola ou Péguy, et en dépit du fait qu’on n’a toujours pas su identifier sa place dans l’évolution des espèces ?

«Il est l’idole, le prêtre et le fidèle», constate Jean-Claude Carrière. Il n’a même plus besoin de nous pour croître. La spéculation commence avec les tulipes, en Hollande, au XVIIe siècle, où l’on vend des fleurs qu’on n’a pas encore, et s’installe avec John Law qui crée sous la Régence l’une des premières banques françaises… et la première banqueroute. Par petites touches, comme les saynètes d’un opéra burlesque, Carrière le conteur suit les aventures de l’argent jusqu’à cette fin étrange. L’argent serait mort du profit, du fait de n’avoir plus besoin de personne pour se multiplier. Celui que Shakespeare qualifiait de «poussière maudite» via Timon d’Athènes serait ainsi invité à revenir à son état initial, c’est-à-dire rien.

«Je connais mal l’argent», nous dit Jean-Claude Carrière comme pour s’excuser. Mais il ne s’agit pas d’un traité d’économie ou d’une énième méthode pour sortir de la crise. L’auteur nous dit qu’un peu de bon sens suffit pour saisir l’absurdité des délocalisations, des importations abusives ou des placements pourris. A ce propos, il cite l’un des patrons de la banque Goldman Sachs : «Nous prenons l’argent aux pauvres. Ils n’en ont pas beaucoup, mais ils sont les plus nombreux.» Mais il s’inquiète aussi. «Et quand il n’y aura plus rien à vendre ? Quand les stocks seront épuisés, les terres et les mers éteintes ?»

Ce n’est plus l’horreur, mais l’erreur économique qui est pointée avec malice par Jean-Claude Carrière. Ce qui l’intéresse, c’est moins l’histoire de l’argent que notre rapport à l’argent. Voilà pourquoi il le fait mourir, parce que c’est théâtral, parce que cela permet de poser des questions sans avoir toujours des réponses. Par exemple, celui qui dépense un argent fou est-il cinglé ou est-ce son argent qui est incontrôlable ?

Voici donc une drôle de nécro en forme de nez rouge. Jean-Claude Carrière ne peut s’empêcher de faire le clown. Un peu triste quelquefois. Peut-être parce que le rire est encore une valeur sûre…

Laurent Lemire

 

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