Fraternité improvisée. « Il faut toujours s'amuser tant qu'on peut, parce que le reste du temps il faut se battre. » Ishmael Beah en sait quelque chose puisqu'il a passé la première partie de sa vie dans un pays en guerre. Né en Sierra Leone en 1980, il a perdu les siens avant d'être enrôlé de force comme enfant soldat. Une expérience traumatisante, relatée dans son incroyable autobiographie Le chemin parcouru (Presses de la Cité, 2008), traduit en quarante langues. Sauvé par une Américaine, celui qui est désormais père de famille s'est engagé auprès de l'Unicef et de Human Rights Watch. Lui qui défend quotidiennement les enfants victimes de la guerre souhaitait rendre hommage à tous ceux qui luttent pour survivre. Y compris dans la fiction. Ainsi, il imagine une bande d'amis d'infortune, qui forment une « petite famille » comme l'indique le titre de son nouveau roman. Leur foyer est aussi inhabituel que symbolique : une carcasse d'avion, laissée à l'abandon. Tout comme ces gamins, aux ailes brisées par la vie. Et à l'image d'un pays africain - jamais nommé - ayant du mal à trouver son envol. « Comment peut-on aimer un endroit où rien ne fonctionne ? » Chacun garde précieusement cachées ses plaies du passé. Mais au sein de ce cocon inattendu, ils ont tous leur place et leur rôle à jouer. Adultes avant l'heure, ces petits héros se doivent d'apporter de quoi subsister. C'est justement dans cet espace, presque cinématographique, qu'ils essayent d'exister « aussi librement que possible ». Une joyeuse solidarité règne entre ces cinq filles et garçons qui se serrent les coudes et affrontent l'adversité. « La pauvreté est dévoreuse de dignité, mais Elimane faisait partie de ces gens qui s'étaient battus pour garder la sienne. C'était la seule bataille qu'il avait remportée », transmettant sa combativité à ses camarades. L'arrivée de William Mouchoir leur fait croire que ce « messie » pourra les sortir de la misère en leur confiant des missions ponctuelles. Or il s'avère qu'il trempe dans des affaires louches. Comment résister à l'appât du gain ? Pas évident dans cette société africaine dépourvue d'avenir, gouvernée par l'injustice, les inégalités et « le syndrome du peuple d'en bas qui reste en bas ». Révoltée, Khoudiemata ne veut pas « choisir entre la survie et la vie ». Certaines de leurs connaissances sont obligées de se prostituer, mais elle refuse cette alternative aussi rémunératrice que destructrice. D'autant qu'elle rêve d'accéder aux beaux quartiers et d'y trouver le prince charmant. « Ne laisse pas le monde te détruire mon enfant. Chaque jour tu es libre », lui rappelle Chadrac. « C'est notre liberté qui fait de nous des êtres dangereux. On n'est redevables à personne, on a le sens de la débrouille. »
Dans ces Quatre cents coups version africaine, Ishmael Beah compose un roman d'aventures initiatique, où violence et résilience cohabitent. Tous ses personnages semblent avoir « le visage camouflé dans le grand canevas de l'humanité », mais ils devront aussi apprendre à « accepter les belles surprises de la vie ».
La petite famille Traduit de l’anglais (Sierra Leone) par Stéphane Roques
Albin Michel
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 22,90 € ; 320 p.
ISBN: 9782226459589