avant-portrait

Toute une vie dépend parfois du hasard. "Je voulais devenir égyptologue, raconte Irving Finkel, mais mon professeur est mort. Alors, je me suis tourné vers l’assyriologie. Pendant six ans, à Birmingham, j’ai été le seul élève du professeur Wilfred G. Lambert. Un homme sévère, mais qui m’a tout appris." Plutôt que le sumérien, langue orpheline, il se spécialise dans le babylonien, proche de l’assyrien, une langue sémitique. "Gilgamesh parlait en sumérien, précise-t-il, mais son épopée a vite été traduite en babylonien." Doctorat en poche, il part pour Chicago, où il participe à l’aventure encyclopédique du Chicago Assyrian dictionary, laquelle vient à peine de s’achever. Parallèlement, il joue de la guitare dans un orchestre de blues, et pense même en faire son métier. "Mais, à nous tous, on a gagné 1 500 dollars en trois ans !" Alors il rentre chez lui, à Londres. "Je n’avais plus de rêves, je ne savais plus quoi faire."

C’est là qu’à la faveur d’une annonce dans le Times il entre au British Museum. Trente-sept ans plus tard, il y est encore, conservateur adjoint du département Moyen-Orient. Spécialiste de l’écriture cunéiforme, il a notamment la charge des 130 000 tablettes d’argile trouvées au XIXe siècle, aux débuts de l’archéologie. "Une collection absolument fabuleuse", conservée dans l’ancienne bibliothèque du British, lieu magique hanté, dit-on, par un fantôme. "Mais je ne l’ai jamais rencontré", s’amuse Finkel, qui compare son musée à "une espèce de zoo".

Parmi ces tablettes, il en a découvert une, en 2014, datant du début du IIe millénaire avant J.-C., écrite par un conteur babylonien, lequel raconte comment le dieu Enki a décidé d’avertir un homme de l’arrivée du Déluge et de lui expliquer comment bâtir un navire pour sauver l’humanité. "C’est le plus vieux témoignage connu sur le Déluge, mille ans avant la Bible", commente l’expert, qui a même fait construire, dans le Kerala, une réplique du bateau et a navigué dessus. De cette histoire, il a tiré un livre, L’arche avant Noé (Lattès, 2015), succès dans le monde entier, ainsi qu’un film.

Mille journaux intimes

Aujourd’hui, Irving Finkel l’éclectique, également auteur de plusieurs romans pour la jeunesse, revient à ses premières amours avec Au paradis des manuscrits refusés. Une fiction farfelue dans laquelle il imagine une bibliothèque très particulière : on y accueille tous les textes, quel que soit leur genre (jusqu’à des partitions musicales), que les éditeurs du Royaume-Uni n’ont jamais voulu publier, accompagnés de leurs lettres de refus. Très vite, c’est l’avalanche, et le directeur, le Dr Cloudesly Montague Patience, a fort à faire, victime d’enquiquineurs, d’escrocs, d’aigrefins ou de cinglés. Vers la fin du livre, il a une nouvelle idée : étendre le périmètre de sa bibliothèque à un autre domaine, les journaux intimes inédits, tenus par des anonymes et qui risquent, à leur mort, de disparaître.

Ici, la fiction rejoint la réalité. Irving Finkel lui-même s’est lancé dans ce projet il y a quatre ans. Il possède actuellement environ mille journaux intimes et a trouvé une bibliothèque de recherche, le Liverpool Street Bishopsgate Institute, à Londres, qui s’est spécialisée dans ce sauvetage. Comme la "bibliothèque des secrets" d’Ambérieu, en France. Elle accueille déjà 4 500 pièces, et il en arrive tous les jours. Sur ce qu’il appelle son "great diary project", Finkel est en train d’écrire son prochain livre, Words in private.

Jean-Claude Perrier

Irving Finkel, Au paradis des manuscrits refusés, JC Lattès. 19 euros ; 250 p. Traduit de l’anglais par Olivier Lebleu. ISBN : 978-2-7096-5622-1. Sortie le 9 mars.

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