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Intérêt et limites du fonctionnement dit participatif en bibliothèques

Chantier participatif à la médiathèque de Bazouges-la-Pérouse. - Photo Bazouges-la-Pérouse

Intérêt et limites du fonctionnement dit participatif en bibliothèques

Atelier d'écriture pour imaginer la bibliothèque idéale, comité citoyen pour décider quels CD acquérir... Le participatif est en vogue, et est d'ailleurs inscrit dans la loi Robert sur les bibliothèques de 2021, qui le voit comme un moyen pour la population d'exercer ses droits culturels. Mais cet outil peut être mal compris, voire instrumentalisé. La sociologue Raphaëlle Bats, autrice de la thèse « De la participation à la mobilisation collective, la bibliothèque à la recherche de sa vocation démocratique », nous aide à faire le point en six réponses.

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Par Fanny Guyomard
Créé le 25.06.2025 à 18h30

1. Toutes les bibliothèques doivent-elles inclure une dose de contribution des usagers ?

Une bibliothécaire universitaire l'affirme : « Le participatif ne fonctionne pas en BU. Les étudiants n'ont pas le temps. Ce qu'ils veulent, c'est un bureau et une prise. »

Pour Raphaëlle Bats, coordinatrice de Construire des pratiques participatives dans les bibliothèques (publié aux Presses de l'Enssib en 2015), « la question n'est pas d'inclure une dose de participation, mais de construire le projet au plus près du besoin des personnes. Choisir un type de bureau et de prise peut être participatif. La participation n'est pas une animation, mais une méthode - pour construire des services, des collections, des espaces, des animations... Et qui dépasse le simple recueil de besoins. »

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Raphaëlle Bats, coresponsable URFIST de Bordeaux.- Photo RAPHAËLLE BATS

2. Comment faire participer une diversité de citoyens ?

Comme le commente Alexandre Litty, chargé de la programmation culturelle dans les bibliothèques de Nancy, « il y a des gens qui n'ont pas envie de participer. Moi, en tant que public, je n'en ai pas envie ! Or les gens qui viennent aiment déjà nos services, donc il y a un biais ».

« La démarche doit rester volontaire », précise d'emblée Raphaëlle Bats. « C'est un travail sur le long terme » pour que l'institution parvienne à ce que chacun s'y reconnaisse, que ce ne soit pas toujours les habitués qui s'impliquent et que d'autres se sentent légitimes.

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Jardin participatif à Bazouges-la-Pérouse.- Photo BAZOUGES-LA-PÉROUSE

À travailler : le vocabulaire. « Groupe de travail » fera fuir les moins scolaires. « Apéro » déplaît à certaines oreilles.

« Et il ne faut pas faire peur aux gens en disant de venir participer, reprend la sociologue. En fait, ils participent déjà en écrivant dans le carnet de suggestions, en discutant avec les bibliothécaires... Il s'agit de prolonger cette implication. Et plus on crée de la familiarité avec l'institution, plus les gens ont envie de s'y investir. »

Selon les mots de Loïc Le Roux, qui avait organisé pour BibDoc 37 en 2021 des journées d'étude sur la manière de faire participer le public à la vie des bibliothèques et des centres de documentation, « il faut installer une ambiance qui laisse la porte ouverte à la participation : avoir une attitude d'écoute sincère et un décor chaleureux. Par exemple, des mugs à disposition des usagers pour des boissons chaudes... » Quant au lieu pour aller chercher des participants : sortir de la bibliothèque et investir la rue ou le marché.

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La bibliothèque de Castellane, Marseille.- Photo FANNY GUYOMARD

3. Sonder, est-ce déjà faire participer ?

Attention au participatif branlant d'une municipalité qui cherche à corroborer son programme par une pseudo--participation des habitants. Guy Saez, ancien directeur de recherche en sciences politiques au CNRS, rapporte avoir vu dans un journal municipal une mairie se féliciter d'avoir invité la population « à partager [ses] décisions »...

Une enquête ne permet aux sondés qu'une expression limitée de leur point de vue. « La concertation, le recueil d'avis, est un premier niveau sur l'échelle de la participation. L'information en est un autre. Le dernier niveau est celui de la décision citoyenne », retrace Raphaëlle Bats. Ne plus mettre seulement les publics au centre du cercle, mais les encourager à dessiner le cercle.

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Représentation d'une comédie musicale de la bibliothèque de Bordeaux, avec les habitants.- Photo VILLE DE BORDEAUX

Les élus qui tranchent sur le nom final de la bibliothèque, après appel à contribution des habitants ? Pour ne pas que certains se sentent lésés, « il faut être clair avec eux, dire dès le départ qui décide à la fin. » Des établissements font signer des chartes pour préciser les droits et les devoirs de chacun, dans un souci de transparence.

4. Comment mener une démarche vraiment participative ?

Il faut se poser la question de pourquoi on le fait, jusqu'où et avec qui, gardant en tête cet enjeu : que chacun prenne la parole et écoute les autres. Notamment le bibliothécaire, qui enseigne les valeurs du service public, le fonctionnement d'un budget... Comme le résume la sociologue, « la participation invite les gens à dépasser la raison pour laquelle ils sont venus à l'origine. Ils viennent pour parler de musiques qui leur plaisent et, finalement, ils apprennent au fil des réunions à acquérir de la musique pour le service public ! »

5. Et si les bibliothécaires ne sont pas d'accord avec ce qui découle de la cogitation avec les habitants ?

L'usager n'est pas le meilleur expert des bibliothèques. Mais si la démarche est menée en accord avec les valeurs du service public, avec un « voile de l'ignorance » (en occultant sa propre position dans la société), théorisé par le philosophe John Rawls, les amateurs bibliothécaires et les professionnels tomberont à peu près d'accord. C'est l'intérêt général qui compte. À noter : « Il faut du participatif dans l'équipe avant le participatif des habitants », comme le rappelle Camille Hubert, coresponsable de la bibliothèque municipale de Dinan.

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Atelier participatif pour concevoir la médiathèque de Bazouges-la-Pérouse.- Photo BAZOUGES-LA-PÉROUSE

6. Un concert participatif pour ne pas avoir à payer des artistes ?!

Crainte absurde pour Raphaëlle Bats. Un amateur éclairé ne remplace pas un conférencier. L'inquiétude pourrait plutôt porter sur le remplacement des bibliothécaires... « Mais ils seront toujours indispensables pour appliquer la démarche », estime la sociologue. S'ils ne sont pas formés, ils sont invités à collaborer avec des associations spécialisisées ou des animateurs professionnels qui enseigneront l'art de coopérer. C'est le métier de Mélissa Lalouette, « facilitatrice » à la bibliothèque rennaise des Champs Libres : « On est là pour faciliter les souhaits des personnes, et on soutient leur encapacitation ». Permettre de s'impliquer, et donner envie de s'impliquer.

De quoi le participatif est-il le nom ?

Pour le politologue Loïc Blondiaux, s'exprimant dans la revue n° 41 de Questions de communication (2022), « la multiplication des espaces institutionnels de consultation du public coïncide avec la montée des critiques dont le pouvoir est l'objet et des conflits suscités par les décisions qu'il prend. La séquence politique ouverte par le mouvement des Gilets jaunes en constitue une fois encore l'illustration. La mise en place du grand débat national a pu offrir à l'exécutif une stratégie de sortie du conflit très habile. En concédant la mise en place de différentes arènes d'expression (plateforme numérique, réunions d'initiatives locales, cahiers de doléances, conférences citoyennes régionales), le président Emmanuel Macron a pu non seulement canaliser la critique mais de surcroît disqualifier ses formes les plus radicales et les moins organisées. L'indifférence ultérieure quasi totale affichée par ce même pouvoir vis-à-vis des résultats de cette participation témoigne, s'il en était besoin, du caractère simplement dilatoire de cette stratégie politique. »

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