C'est l'essence du métier de bibliothécaire : inclure tous les habitants. C'est aussi le thème du congrès 2021 de l'ABF. « Il a émergé en 2018 et en deux ans il y a eu pas mal de chemin de parcouru », se félicite Hélène Brochard, responsable de la commission AccessibilitéS, qui réfléchit plus particulièrement sur les prisons, les hôpitaux, les personnes illettrées ou handicapées - 18 % de la population française a un taux d'incapacité (visuelle, auditive, motrice, cognitive, mentale ou psychique) d'au moins 80 %, selon le ministère de la Culture. De leur côté, 80 % des bibliothèques municipales avaient, en 2017, mis en place au moins une action pour elles.
Un premier niveau d'inclusion se décide dans les collections. Sur son blog, la commission Légothèque de l'ABF donne ainsi des idées de livres, jeux vidéos, expositions ou conférences qui font réfléchir sur le multiculturalisme ou les stéréotypes. « Ce sont nos articles les plus consultés. Les bibliothécaires et les particuliers demandent des repères dans toute l'offre foisonnante », indique la responsable de la commission Fabienne Le Hein. Foisonnante, comme l'est l'offre en livres audio ou en gros caractères (Éditions Libra Diffusio, la Loupe, À vue d'œil, Voir de près, Gabelire, Feryane...) ou adaptée aux « dys » et à tous ceux qui ne sont pas à l'aise avec les mots (Dyscool, Colibri, DYS, premières lectures faciles, Miroir aux Troubles, La Traversée...). Les pages y sont aérées, les lettres asymétriques et le texte parfois raccourci.
Selon le ministère de la Culture, entre 5 % et 10 % des ouvrages publiés chaque année en France sont accessibles aux personnes empêchées de lire. Mais sont-ils acquis par les bibliothèques ? Le frein n'est pas tellement leur coût, signale Hélène Brochard : « L'association Valentin Haüy donne gratuitement accès à des livres audio, et le CNL octroie des subventions pour le matériel, la médiation et les formations. Le frein, c'est l'ignorance de l'offre possible et des aides pour ces ressources. »
Mélange des genres
Une fois ces œuvres dans les rayons, reste à le faire connaître aux habitants. Le logo bleu « Facile à lire », utilisé dans 270 établissements (contre 28 en 2019), permet de repérer au moins cinquante ouvrages qui sont régulièrement renouvelés et regroupés sur un même mobilier, bien visibles. Il implique aussi des temps de médiation et des partenariats avec pro et associations. « S'appuyer sur les professionnels dont c'est le métier, c'est la base », souligne Hélène Brochard. Une association comme France terre d'asile fera ainsi le pont entre bibliothèque et migrants.
Les animations aussi peuvent être inclusives sur le fond comme la forme, en faisant par exemple intervenir des femmes dans les domaines sur-représentés par les hommes et vice-versa. La bibliothèque Louise Michel (Paris) a elle rebattu les frontières du genre en invitant des Drag Queens pendant la Queer Week.
On veillera aussi au mélange des participants : les usagers de la médiathèque Entre les Lignes, à Templeuve (Nord) jouent par exemple avec une application qui fait danser les lettres sur l'écran, mimant le trouble dys. L'heure du conte se fait parfois dans le noir, histoire de vivre la cécité. La médiathèque du Grand Narbonne (Aude) organise des projections en audiodescription ou avec sous-titrages enrichis. Dans un tout autre genre, culinaire celui-là, la médiathèque de la Monnaie, à Romans-sur-Isère, a tenu des « melting popotes » : mélangez des habitants de différentes cultures, laissez-les prendre les commandes de la cuisine et incorporer les recettes de leur enfance. Vous aurez des raviolis chinois, du riz à la sauce thiou du Sénégal ou des pâtisseries arméniennes appelées gatas.
La tactique : impliquer la population dans la vie de la bibliothèque. « Nos retraités sont maintenant connectés ! », se réjouit Cathy Roumieu, responsable de l'espace rural numérique de Valdoule (Hautes-Alpes), où un ex-informaticien a créé un club informatique. L'espace France Service, dans lequel la bibliothécaire peut aider les habitants à réaliser une démarche administrative sur ordinateur, jouxte la médiathèque. Pratique.
« L'agencement de l'espace est important : toute personne doit se sentir accueillie », rappelle Hélène Brochard. Le 17 juin, l'ABF récompense ainsi les toilettes non genrées par exemple, avec des tables à langer, des lavabos à différentes hauteurs, des porte-manteaux, des douches ouvertes aux sans domicile fixe... Parfois, c'est aux bibliothèques de se déplacer dans les hôpitaux ou prisons. Mais la responsable de la commission AccessibilitéS note que « tous les centres pénitentiaires sont censés proposer une bibliothèque, mais seulement un sur deux était en partenariat avec une bibliothèque territoriale en 2017. Elles disent qu'elles ont du mal à dégager des ressources humaines pour cela. » Ne pas oublier de sensibiliser aussi les partenaires (personnel d'insertion ici), dès leur formation. Bref, inclure tout le monde, à tous les niveaux.