Poésie

Grisélidis Réal, "Chair vive : poésies complètes" (Seghers) : La poète et la putain

Grisélidis Réal, 1961 - Photo DR

Grisélidis Réal, "Chair vive : poésies complètes" (Seghers) : La poète et la putain

Pour la première fois réunis en un seul recueil, les poèmes de Grisélidis Réal confirment l'immense talent d'une auteure d'exception encore trop méconnue. Tirage à 3000 exemplaires.

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Par Marie Fouquet
Créé le 11.02.2022 à 11h00 ,
Mis à jour le 28.02.2022 à 15h06

Poète et pute. Ce qui pourrait être le titre de son autobiographie est en réalité son épitaphe : « Écrivain-peintre-prostituée ». Si la Suissesse Grisélidis Réal revendiquait son statut de prostituée - et si on l'associe souvent trop immédiatement à ce dernier -, elle était également écrivaine et peintre. Facette plus méconnue encore, ses écrits de poésie, aujourd'hui recueillis dans Chair vive. Grisélidis Réal a composé des poèmes tout au long de sa vie. Découpé en quatre parties organisées de façon chronologique, de 1942 à 2005 - « Poèmes de jeunesse », « de prison », « d'amours et de nuit », et « poèmes de la fin » -, l'ouvrage comprend aussi des dessins d'art brut qu'elle a réalisés, dont des têtes de femmes aux allures de Méduse.

Dès sa première expérience de la prostitution, elle compose un poème. C'était en 1961, Grisélidis avait 32 ans et vivait en Allemagne, ses enfants à charge et sans le sou. « J'attends que meure jusqu'à l'aube/ Dans mes cheveux cette rose volée/ Unique chair vivante/ Que regrette l'été » (« La Putain »). Dans sa préface à Chair vive, Nancy Huston écrit que, chez Grisélidis Réal, « l'imaginaire est synonyme de liberté ». En prison, où elle a été enfermée pendant six mois pour avoir vendu de l'herbe, elle découvre sa « cathédrale intérieure » - « où le vitrail des larmes resplendit de lumière » -, développe son écriture et fait la rencontre de nombreuses femmes auxquelles elle rendra un sublime hommage à sa sortie. « Je vous salue ô mes sœurs douloureuses/ La nuit m'appelle » (« Remember »).

Pour Grisélidis Réal, écriture et prostitution sont intimement liées. En 1977, dans la revue Marge, elle écrivait : « Se prostituer est un acte révolutionnaire. » En 1992, dans La passe imaginaire : « Il faut respecter, aimer et admirer tous les contestataires, les fous, les marginaux, tous ceux qui hurlent, boivent, attaquent et détruisent la puante façade de l'ordre établi. Quant à moi, je crois à la liberté, pouvoir dire merde, n'avoir rien à perdre, rien à gagner. L'écriture sera subversive ou ne sera pas. Donc il faut se mettre à nu. » Son combat auprès des prostituées dans les années 1970, qu'elle mènera jusqu'à sa mort, témoigne d'un militantisme qui lui est inhérent, elle qui s'est toujours battue pour la liberté et contre les dogmes, politiques ou religieux, qu'elle a elle-même fuis en quittant sa Suisse natale et sa famille bourgeoise. « Malheur à la ville perdue, où les poètes se prostituent », prévient-elle en baudelairienne dans « Cantique de l'espoir », avant de poursuivre, en anarchiste : « Bourgeois vous puez le cadavre/ Prenez garde au Pauvre et au Fou/ Que vous mettez sous les verrous ». Grisélidis Réal était tout à la fois : poète, activiste, putain, artiste, révolutionnaire... Et pourtant elle demeure, pour reprendre les mots d'Anne Sylvestre dans son célèbre chant féministe, « une sorcière comme les autres ».

Grisélidis Réal
Chair vive : poésies complètes
Seghers
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 17 € ; 256 p.
ISBN: 9782232145469

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