31 OCTOBRE - ESSAI France

Tout un chacun en a fait la triste expérience avec un proche : c'est le plus souvent de manière insidieuse, par glissements inaperçus d'un sujet à l'autre, qu'un conflit gonfle avant d'éclater, bien plus violent que ses raisons avouées. Cela est tout aussi vrai pour les conflits à l'échelle mondiale. Lorsque l'on appelle "civilisation judéo-chrétienne" l'Europe alliée aux Etats-Unis depuis la guerre froide, on voit mal en quoi ce judéo-christianisme a quelque chose à voir avec les valeurs politiques du libéralisme et de la démocratie dont il est question. De la même façon, parler du monde arabo-musulman ne porte pas les mêmes enjeux que les termes "Proche-Orient", ou "monde arabe". Derrière ces expressions apparemment anodines se cachent les deux thèses mortifères du prétendu "retour du religieux" et du non moins prétendu "choc des civilisations" exposé par un Samuel Huntington.

Telle est en tout cas la thèse que défend Georges Corm dans Pour une lecture profane des conflits. Selon ce spécialiste du Proche-Orient, dont l'expertise a été employée par l'Union européenne aussi bien que par le FMI, agiter le chiffon rouge de la question religieuse sert à tous les coups, et ce depuis le début de la colonisation franco-britannique au XIXe siècle, d'excellent prétexte à contourner les règles élémentaires du droit international hérité des Lumières. Il s'agit donc de dénoncer la "grille interprétative qui mêle scandaleusement l'invocation de valeurs religieuses dans la présentation de l'analyse des données, [et qui]permet de paralyser le sens critique des citoyens sur la politique menée par leur gouvernement, occidental ou oriental, dans cette région tourmentée du monde". L'historien et penseur prend position. De l'Etat d'Israël aux printemps arabes, des différences de traitement entre Pakistan et Iran au rôle des Français dans la montée des tensions communautaires au Liban, c'est bien le militant qui met en lumière le discours idéologique dans lequel les puissances occidentales ont enrobé les enjeux de puissance sous-jacents. Cette dénonciation, appuyée sur les ouvrages de recherche précédents, a quelque chose de tranchant et d'abrupt de prime abord. Mais l'argumentation est implacable. L'analyse du multiculturalisme comme facteur de différenciation plutôt que de cohésion dans l'espace public, ou celle de la transformation de la réflexion historique par l'instrumentalisation de la mémoire collective ne laisseront personne indifférent. Riche et virulent, ce nouvel Essai sur le libre arbitre oppose à toutes les confusions discursives un retour strict à la laïcité révolutionnaire, que les pays d'Europe ont si bien promu chez eux sans jamais l'appliquer ailleurs, et propose un "pacte républicain international". Erasme peut-être, ou alors L'utopie de Thomas More.

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