Elise Fontenaille publie beaucoup. Trop, estimeront certains. A tel point que, dans sa bibliographie, elle ne mentionne plus que ses "derniers ouvrages parus" : trois par an en moyenne et chez des éditeurs différents. Peu importe, répliqueront d'autres, puisque ces livres sont des commandes - ainsi des faits divers qu'elle a romancés pour Grasset -, que l'auteur a du talent et se lit toujours avec bonheur. Et puis, si l'on en croit son nouveau roman présenté comme une autofiction à peine déguisée, sa "vie" est si "précaire" que, depuis qu'elle a arrêté son métier de journaliste, elle n'a plus pour subsister, avec ses fils Rémi et Gaspard, que ses revenus d'écrivain. Inutile de dire que la matérielle n'est pas toujours luxueuse et le problème du logement, en particulier, le plus prégnant.
Le livre, d'ailleurs, commence sur une fort jolie scène. Obligée de quitter son appartement parisien du quartier du Temple dont elle ne peut plus régler le loyer, Elise décide de se débarrasser de tout ce qu'il contient, en descendant au fur et à mesure et offrant dans la rue, gratis, d'abord les livres, puis les meubles, les objets divers que chacun accumule et auxquels il a la faiblesse de tenir. L'idée de transmettre toute sa bibliothèque, son trésor, aux habitants de son coin, aux passants et à qui en veut, est émouvante. Et traitée sans pathos : Elise se définit comme une "femme-dé", qui toujours rebondit, et à qui la précarité et le nomadisme, apparemment, ne font pas peur.
Car, à partir de là, elle va enchaîner un nombre vertigineux d'aventures et de pérégrinations, voire de galères, de Saint-Nazaire à la Guyane - une semaine seulement, pour animer un atelier d'écriture à Cayenne avec les enfants du fleuve Oyapock - en passant par Saint-Marc-sur-Mer hors saison qu'elle doit fuir, harcelée par les exhibitionnistes en tout genre qui fréquentent nonobstant la plage (nudiste) abandonnée, le cap Corse, où elle s'échappe de chez l'une de ses "amies" toubib complètement cinglée, ou encore une chambre minable sous-louée à Macha, en fait Aïcha, vraie garce et marchande de sommeil...
Un moment, réduite à quia, Elise tente même de faire comme Grisélidis Réal, prostituée devenue l'un des écrivains qu'elle admire le plus : elle loue ses charmes mais ne se sent pas vraiment apte à poursuivre dans cette triste voie. D'autant qu'elle aimerait bien tomber amoureuse, trouver enfin l'homme avec qui refaire sa vie : elle drague sur Craigslist, de préférence des jeunes gars d'origines exotiques, rencontrant d'abord Arnaud, un beau commissaire de police intello en poste à Marseille, avec qui elle est censée écrire un livre à quatre mains : mais il se retire du projet et rompt même leur relation, de peur de s'engager sérieusement ; puis Fela, qui vient de Pretoria, occasion pour Elise d'évoquer le souvenir de l'Afrique et du grand-père de son père, le général Mangin, avec ses fameux tirailleurs pas tous "sénégalais". On aimerait bien, d'ailleurs, qu'Elise Fontenaille écrive un jour l'histoire de ce Mangin-là...
En attendant, on se perd dans cette collection d'anecdotes, de saynètes et de portraits, souvent savoureuse, mais décousue. Une autofiction ne fait pas toujours un roman.