Table ronde sur les nouvelles voix pour "Prendre en charge le monde d'aujourd'hui", avec Édouard Jousselin, Phoebe Hadjimarkos Clarke et Bastien Hauster, au festival Etonnants Voyageurs 2024, à Saint-Malo. - Photo Olivier Dion
Étonnants Voyageurs 2024 : une édition foisonnante et renouvelée
Le festival qui a tenu sa 34e édition à Saint-Malo ces 18, 19 et 20 mai 2024, a accueilli 150 auteurs de trente pays. Les années fastes sont terminées, mais le rythme reste soutenu et le génie des auteurs au rendez-vous.
Par
Fanny Guyomard Créé le
20.05.2024
à 17h48, Mis à jour le 27.05.2024 à 09h43
Le festival des voyageurs a réduit la voilure. Pour sa 34e édition qui s’est tenue du 18 au 20 mai à Saint-Malo, quelque 250 événements ont été organisés, contre 350 en 2022, le nouveau président Jean-Michel le Boulanger souhaitant revenir à un festival davantage à taille humaine.
Le prix du billet a lui augmenté, passant de 16 euros (tarif plein) la journée à 20 euros, et les étudiants perdant leur gratuité — mais le tarif réduit est resté inchangé.
Festival-publicité
Si le Salon du Livre a rétréci, il a aussi pour la première fois ouvert aux visiteurs sans billet. « Il y a un monde fou », se réjouit un commerçant, qui enregistre 450 euros d’achats dimanche matin. « C’est pas mal », commente-t-il. Même son de cloche chez le libraire et éditeur Critic, Étienne Vincent : « Notre stand a été divisé par deux par rapport à l’année dernière, mais nous avons vendu autant ce matin », constate-t-il. Sa librairie ne représente plus que quatre éditeurs cette année, contre six en 2023 et onze précédemment. Cette année-là, le stand avait accueilli quatorze auteurs en signature, même s’ils n’étaient pas tous invités par le festival, lequel prend dans ce cas en charge leurs frais de présence.
Cette année, La Volte n'avait pas d’auteur invité et n’a pas souhaité payer sa place au Salon. « Le festival est un vrai prescripteur, les gens identifient sur le stand l’auteur qu’ils ont vu en table ronde », commente Étienne Vincent. Quelque 150 auteurs étaient invités cette année, contre 250 il y a dix ans.
Voyage intérieur, à taille humaine
Un festival réduit, mais toujours international. Nous croisons parmi les festivaliers un moine tibétain exilé en France, une Romaine, des Belges… et des Français qui râlent quand la file et l’attente sont trop longues. Tous venus pour « rencontrer » (c’est le verbe utilisé) des auteurs qui revendiquent l’importance de l’imaginaire. « La littérature, c’est devenir autre chose que soi-même. C’est une valeur primordiale à une époque où on est dans l’agressivité, le jugement… Quelle est notre capacité d’empathie, d’imagination, à nous oublier ? C’est le socle même d’Étonnants Voyageurs », interpelle l’éditeur du Tripode Frédéric Martin.
Voyage spatial comme mental, chez Lavie Tidhar dans Central Station (« un livre où il ne se passe rien ! », souhaitait-il), avec Phoebe Hadjimarkos-Clarke pour Aliène (l’exploration de la peur) ou encore dans Une singularité de Bastien Hauser, qui rapproche l’effondrement sur soi d’un AVC et d’un trou noir.
Table ronde 'Ce qui nous construit' avec Luc Lang, Nina Bouraoui, Aparecida Vilaça et Ève Guerra, au festival Etonnants Voyageurs 2024, à Saint-Malo- Photo OLIVIER DION
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Voyage entre l’individuel et l’universel pour Guéorgui Gospodínov (« Les détails de la vie quotidienne recèlent toute une vie »), Lola Gruber (« Les mémoires individuelles recoupent une mémoire nationale ») ou encore Eve Guerra : « Il ne faut pas avoir peur de l’autofiction », revendique celle qui a dû se débarrasser d’un style orgueilleux pour être publiée… et recevoir le prix Goncourt du premier roman pour Rapatriement. « Écrire, c’est enlever ! »
D'autres donnent la vie sans rien maîtriser, assure Mircea Cartarescu, qui écrit ses livres sans plan, d’une traite, sans rature, pris d’enthousiasme : « L’écrivain n’est pas auteur mais un portail. Son livre se fait de lui-même, comme une mère enceinte dont l’enfant croît avec son propre ADN. Elle a seulement foi en sa capacité de créer », assure le Roumain. Et à conjurer la mort, selon Grégoire Polet, convoquant Proust : « Le roman est l’instrument privilégié pour faire l’expérience du temps et ne plus en avoir peur ».
La faillite de l'intelligence humaniste ?
Il a aussi été question de la mort de l’imaginaire et de passé dangereusement permanent, interpelle le Turc Hakan Günday : « Au bout de dix pages d’écriture d’une dystopie que vous souhaitez placer dans le futur, vous vous rendez compte qu’elle existe déjà ou qu’elle a existé ! » Pour réinventer la pensée, l’intelligence artificielle constitue-t-elle un outil pertinent ? Selon l’auteur de fantasy Patrick K. Dewdney, « le livre est sur le déclin, devancé par des médias plus efficaces pour activer les synapses du système de récompense… Mais ce n’est pas un drame : quand l’IA fera quelque chose de mieux que les écrivains, j’irai juste cultiver des patates. » Ce qui méritera une histoire.
Les prix remis au festival cette année
Velibor Čolić, doublement primé avec Guerre et pluie (Gallimard) pour lequel il reçoit le Prix Kessel et le Prix Ouest-France Étonnants Voyageurs
Giosuè Calaciura, lauréat du Prix Nicolas Bouvier pour Pantelleria, la dernière île (Noir sur Blanc)
Anthony Sattin, obtient une mention spéciale du jury du Prix Nicolas Bouvier pour Les Nomades (Noir sur Blanc)
Yan Lespoux, lauréat du Prix Gens de Mer – Littoral – France 3 – France Bleu pour Pour mourir, le monde (Agullo)
Pome Bernos et François Sarano, lauréats du Prix « Compagnie des Pêches » pour S’il te plaît, dessine-moi un cachalot (Actes Sud)
Éric Sarner, lauréat du Prix Ganzo de Poésie pour l’ensemble de son œuvre
La lecture en déclin ?
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