Dans la déferlante de la vague culturelle sud-coréenne, le livre tient une place de plus en plus importante, porté par le succès de Kim Jiyoung, née en 1982 de l’auteure féministe Cho Nam-joo ou des livres de Han Kang, première auteure sud-coréenne à avoir reçu le prix Nobel de littérature en 2024, dont la reconnaissance internationale semble avoir généré un engouement national pour la lecture.
Sous la pression d’un système scolaire ultra-compétitif, les jeunes sont au cœur de l’économie du livre en Corée du Sud, 3ᵉ marché asiatique du livre après la Chine et le Japon où le secteur scolaire représente 40% du marché coréen quand il ne représente que 11% du marché français.
Alors que 20% des parutions sont des traductions, le français y est la troisième langue de traduction, après le japonais et l’anglais. La Corée du Sud, dont le marché est structuré depuis 2003 par une loi sur le prix unique du livre, est un partenaire stable pour les éditeurs français et le deuxième acquéreur de livres français en Asie, après la Chine. Sur les 547 cessions de droits de titres français en Corée du Sud en 2024, 206 concernaient la jeunesse, selon le dernier rapport du SNE. « Il est troublant de voir le cousinage entre France et Corée du Sud dans le secteur jeunesse, avec une même recherche graphique et un même soin apporté à la fabrication », affirme Nicolas Roche, directeur de France Livre, rencontré lors de la Seoul International Book Fair (SIBF).
Les taux de lecture révèlent un fossé générationnel étonnant : alors que 74,5 % des adultes dans la vingtaine lisaient l’année dernière, ce taux tombe à 47,9 % chez les quadragénaires, à 36,9 % chez les quinquagénaires et à 15,7% chez les plus de 60 ans. Si la population coréenne est vieillissante, les jeunes lisent davantage que leurs aînés. La lecture redevenue tendance porte même un nom : le text hip.
Lire oui, mais lire ensemble !
Au cœur de ce phénomène rafraichissant, se trouve la prescription. Les tendances sont liées aux pratiques de consommation digitalisée des plus jeunes : un marché du livre audio et du webtoon dynamique ; une montée en puissance de la vente en ligne qui a détrôné la vente en librairie depuis 2018 ; et un essor des plateformes qui génèrent des communautés virtuelles de lecteurs, comme Millie Seojae qui comptait 7 millions d'abonnés fin 2023, soit 132 % de plus que l’année précédente.
Alors que la lecture semble être une activité solitaire, cette culture de lecture collective consolide un modèle de revenus par abonnement sur le marché du livre électronique dominé par Kyobo, Aladin, Yes24, Kakao et Naver. Sur ces bibliothèques aux airs de réseaux sociaux, les livres sont recommandés par des abonnés de plus en plus jeunes. Même les stars de K-pop s’y mettent, comme Minji du girl group NewJeans qui lit Le Temps de l'innocence d'Edith Wharton dans un clip !
Une détox numérique
En marge de cette émulation virtuelle, les lecteurs s'adonnent à des activités qui replacent le livre papier au cœur des pratiques. Le dernier phénomène consiste à retranscrire à la main des textes publiés, puis les décorer pour ensuite… les partager sur les réseaux sociaux. Cet engouement pour le handwriting génère la publication de livres structurés à dessein, avec le texte imprimé sur la seule page de gauche. Le critique de pop culture, Kim Heon-sik, va même jusqu’à parler de « détox numérique » pour qualifier cette pratique méditative, censée apaiser l’esprit et ralentir le rythme alentour.
Et alors que le gouvernement avait annoncé l’introduction de manuels scolaires intégrant l'IA pour la rentrée 2025, une pétition de parents inquiets dénonçant le risque de dépendance à la technologie a poussé l’Assemblée à les reléguer à une place de simples supports pédagogiques. Dans un monde dominé par le numérique, la Corée du Sud semble nous dire que parfois, le meilleur moyen d’avancer, c’est de faire un pas en arrière.