A la tête d’un groupe fondé par son grand-père, libraire, en 1933 à Beyrouth (Liban), et qui s’est ensuite développé dans l’édition et la distribution jusqu’au Maroc avec l’acquisition d’Atlas en 2022, maison spécialisée dans le livre scolaire, Emile Tyan a participé à une keynote en ouverture de l’International Booksellers Conference de Sharjah, qui s'est tenue aux Emirats arabes unis les 27 et 28 avril derniers. Subissant les crises continuelles de son pays depuis de nombreuses années, il a partagé son expérience auprès des libraires des pays du Sud, marquée par une résilience et une certaine lassitude.
Livres Hebdo : Comment évolue la situation au Liban ?
Emile Tyan : C’est extrêmement « challenging » actuellement pour notre cœur d’activité qui est au Liban. Nous sommes dans une série continuelle de crises depuis 2019 et les manifestations. Il y a eu ensuite le Covid et l’explosion terrible en 2020, une dévaluation spectaculaire de la livre libanaise et maintenant la situation au Sud Liban avec les affrontements entre Israël et Gaza qui durent depuis plus de huit mois. Il y a donc une sorte de stress permanent même si la vie quotidienne à Beyrouth n'est pas affectée. Et quelle que soit l’entreprise qu’on gère dans la région, on pilote à vue.
Concernant les activités d’édition et de librairie de votre groupe, comment résistez-vous ?
Aujourd’hui l'activité a baissé de 50% par rapport à 2019 avec un plus bas de -70% en 2022. Depuis, cela remonte fortement mais il faut voir d’où on part ! Nous avons donc revu nos business model et investi massivement dans la vente en ligne. Nous avons également fermé deux points de ventes dont notre plus beau magasin soufflé par l’explosion du port de Beyrouth. Il était nécessaire de se « downsizer » (réduire notre voilure, ndlr) mais sans perdre notre savoir-faire, ce qui s’est révélé être une vraie menace. Heureusement, nous avions un peu anticipé cette conjoncture en investissant hors du Liban, dans le monde arabe, au Maroc, aux Emirats ou encore en Arabie saoudite… L’idée étant d’être le moins dépendant de cette situation libanaise. Et donc logiquement, des projets liés au marché libanais, sur des traductions par exemple, sont sortis de l’équation…
« Il faut sortir d’une vision purement comptable de l’exportation de livre français »
Vu de France, le monde arabe semble avoir sa porte d’entrée au Liban. Est-ce toujours le cas ?
On essaye en effet de garder ce prisme-là. Notre culture francophone est précieuse et nous incite à choisir naturellement des livres français à traduire, notamment en jeunesse. Donc consciemment ou inconsciemment on est le porte-drapeau dans cette région-là de tout savoir-faire français qu'on traduit en langue arabe. On est aussi souvent aidé par les instituts français dans les différents pays qui sont de bons relais aussi. Mais ce que je remarque, c’est que notre résilience devient très clairement un défaut car cela ne nous aide pas à nous révolter contre l’état actuel des choses.
Cela fait longtemps que vous demandez une baisse de prix pour les échanges avec la France et notamment l’export de livres français. Êtes-vous entendu ?
J’ai l’impression de parler à un mur… Il faut que l’édition française arrête de penser l’export de livre comme un business qui doit être rentable à lui tout seul et le considérer comme marginal. Avec ou sans export, la production est la même en France. Il faut donner de l’oxygène au libraire francophone sous peine de mort de ce dernier, il n’y aura donc plus d’export ! Il faut sortir d’une vision purement comptable.
Vous avez participé à l’International Bookseller's Conference de Sharjah (EAU). Qu’en avez-vous pensé ?
Elle est originale de par son angle de vue en mettant au centre de l’attention les libraires et les distributeurs plutôt que les éditeurs. Maintenant, je ne crois pas qu'à Sharjah, les autorités ont une baguette magique et je ne crois pas qu’il y aura des changements drastiques à la suite de cette conférence. Mais au moins, on a un autre regard, il y a un partage d'expérience…