Rayon X

Édition féministe, ce marché qui gronde

Le rayon féministe de la librairie Ombres blanches à Toulouse. - Photo photos : Olivier Dion

Édition féministe, ce marché qui gronde

Au moment de #MeToo, le monde, de l'édition y compris, a parlé de tsunami, de raz-de-marée et autres métaphores trahissant notamment sa stupeur. Une poignée d'années plus tard, il semblerait qu'en dépit des flux et reflux, la comparaison avec le gulf stream soit plus raisonnable, dans le sens où l'édition féministe irrigue le milieu du livre de façon durable et profitable, et qu'il serait très risqué, ne serait-ce qu'économiquement, de vouloir le déjouer. Panorama d'un marché qui gronde.

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Par Lauren Malka
Créé le 09.07.2024 à 19h00 ,
Mis à jour le 11.07.2024 à 11h12

Les femmes lisent beaucoup, les féministes encore plus. » C'est le leitmotiv avancé par la revue La Déferlante au moment de se lancer dans l'édition (à travers la voix de l'une de ses membres, Clara Tellier Savary, aussi fondatrice des éditions La Goutte d'or). Est-ce vrai ? Et pour combien de temps ? L'ouragan d'écrits féministes qui a - littéralement - déferlé en librairie dès 2018, en parallèle du mouvement #MeToo, juste après le phénomène Sorcières de Mona Chollet (« Zones », La Découverte, 370 000 exemplaires), menace-t-il de s'essouffler ? La réponse est simple : non. Certaines figures du mouvement s'en réjouissent.

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Camille Froidevaux-Metterie, philosophe.- Photo OLIVIER DION

Mona Chollet, qui annonce un nouveau livre pour septembre 2024, Résister à la culpabilisation. Sur quelques empêchements d'exister (sortie le 19 septembre, « Zones », La Découverte), se dit « fascinée par l'intelligence collective à l'œuvre depuis #MeToo, par la façon dont nous couvrons à nous toutes de plus en plus de champs de l'expérience féminine - parce que les éditeurs ont compris que ça marchait et nous en donnent enfin la possibilité ! Pour moi qui ai été adolescente et jeune adulte dans un quasi désert féministe, c'est assez miraculeux. »

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Collage dans les rues de Paris- Photo OLIVIER DION

Entre 2018 et 2023, le nombre de livres identifiés « féministes » (voir notre méthodologie p. 76) a augmenté de plus de 308 %, passant d'environ 189 000 références à plus de 775 000. Le chiffre d'affaires généré a augmenté de 312 %, passant d'environ 3 à 12 millions d'euros. Une augmentation qui concerne tous les genres littéraires, en particulier la fiction (production multipliée par 145 depuis 2018) et les sciences humaines (multipliée par 13). 

Cette tornade éditoriale, qui donne lieu, selon certains, à une « surproduction », fait parfois trembler les éditeurs, éditrices et libraires indépendants qui ont été parmi les premiers à l'inspirer. Soazic Courbet, fondatrice en 2016 de la librairie féministe L'Affranchie, à Lille, tire la sonnette d'alarme : « On a de l'énergie, on est portées par nos convictions mais, comme de nombreuses structures engagées et indépendantes, on commence à fatiguer. » Les Daronnes, maison fondée par Coline Charpentier et Juliette Dimet, sortent doucement la tête de l'eau après avoir récolté les 18 000 euros nécessaires pour « repartir du bon pied », à la suite de leur appel aux dons. Flora Boffy-Prache et Zoé Monti-Makouvia, fondatrices des Prouesses, continuent en 2021 à travailler chacune de son côté en espérant un jour un succès leur permettant de se consacrer à leur projet. « L'édition indépendante est structurellement instable, fragile et précaire, confirme Marie Hermann, cofondatrice de la remarquable maison Hors d'atteinte en 2018. La joie d'accompagner des auteurs et autrices, le sentiment profond que ce qu'on fait a du sens, a fortiori dans des temps qui s'obscurcissent... nous font tenir. Mais jusqu'à quand ? »

Le grand bain

Malgré cette houle, d'autres barques indépendantes se lancent à flots. Entre 2021 et le printemps 2024, on compte au moins quinze nouvelles maisons, collections et labels indépendants - ou reposant sur des revues (voir l'encadré) ou autres structures indépendantes - comportant « féminisme » ou « questions de genre » dans leur note d'intention. Vanessa Caffin et Jeanne Thiriet, fondatrices des Livres agités, une maison qui édite des primoromancières, tiennent le cap. « Le fait que notre maison ait émergé si vite, que notre première parution, Biche, de Mona Messine figure sur 15 listes de prix littéraires, montre qu'il y avait une attente pour davantage de fictions féministes. » En 2023, l'écrivaine Élise Thiébaut lance la collection à deux faces « Nouvelles lunes », newsletter d'un côté, livres de l'autre, au Diable Vauvert, réunissant des textes courts, « sensibles, écoféministes, antiracistes et queers ». Les deux premiers textes, Le sexocide des sorcières de Françoise d'Eaubonne et 2060, première fiction de la journaliste Lauren Bastide, figurent dans le top 50 des livres féministes les mieux vendus de 2023. 

L'année 2025 sera marquée par d'autres initiatives indépendantes et audacieuses, comme celle de Lorraine Selle-Delavaud, traductrice et éditrice de plusieurs inédits de bell hooks chez Plon, qui crée sa maison d'édition féministe et intersectionnelle, La Meute. Au programme, un recueil de poésies inédites de bell hooks, un inédit de Maya Angelou et d'autres surprises déjà prévues sur deux ans. Une prise de risque ? « C'est ce qu'on appelle le feu sacré », répond l'éditrice. 

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Gabriela Larrain, directrice de collection aux Liens qui libèrent.- Photo TXOMIN ARRIETA

Du côté des grandes maisons, le féminisme contribue, d'après plusieurs libraires (indépendants ou non), à rajeunir considérablement la fréquentation du rayon sciences humaines. Marie Naudet, qui a lancé avec Mathilde Noizet en 2021 Les Insolentes, label « féministe et inclusif » chez Hachette Pratique, s'inscrit dans cette tendance, à travers des succès grand public comme Nos amours radicales, vendu à plus de 10 000 exemplaires - un livre collectif qui interroge la relation amoureuse du point de vue des questions de genre. Chez Lattès, Jeanne Morosoff, qui a fondé en 2023 le label Nouveaux jours, note que trois de ses titres parus en 2023 font partie du top 20 des ventes en sociologie - par exemple, En bons pères de famille de Rose Lamy. À l'origine de cette collection, il y a aussi le souhait d'élargir les thématiques en proposant des non-fictions qui traitent de sujets de société. Même logique pour Juliette Magro, ancienne colleuse recrutée par Mango pour développer le label Mango Society, mais qui a insisté pour ne pas y « coller » l'étiquette féministe afin de ne pas surproduire sur ce thème. 

Ô plurielles

Chez « Points féminismes », collection de Points saluée par le milieu - avec des rééditions et des inédits en poche -, l'étiquette « féministe » est revendiquée. Gabriela Larrain, sa fondatrice en 2021, s'est inspirée de sa passion pour des maisons exigeantes comme La Fabrique, créée en 1998 par le chirurgien et militant Eric Hazan, disparu récemment, ou la collection « Sorcières », créée en 2015 par Isabelle Cambourakis. Elle a ainsi posé les fondements d'une ligne radicale, de Chloé Delaume à Camille Froidevaux-Metterie en passant par Paul B. Preciado et jusqu'au violet de sa couverture - couleur emblématique des suffragettes. « Notre souhait, c'était de construire une boîte à outils idéale pour illustrer le bouillonnement intellectuel des féminismes actuels et passés, montrer leur pluralité. » Mission accomplie. En 2025, Gabriela Larrain exercera ses talents d'éditrice en fondant un nouveau département éditorial aux Liens qui libèrent, spécialisé dans le féminisme, l'écologie, le post-colonialisme et la convergence des luttes.

Les grandes maisons se démarquent aussi en 2023 par les succès impressionnants de Cahiers de vacances féministes, un concept tout nouveau, lancé par Marie Naudet aux Insolentes et repris avec brio par Denoël avec le titre à succès En vacances, Simone ! signé Charline Vanhoenacker et Titiou Lecoq (plus de 35 000 ventes). Talya Chaumont, éditrice chez Denoël, n'écarte pas l'idée d'aborder des sujets plus difficiles comme les violences faites aux femmes à travers des cahiers de vacances ou des ouvrages ludiques de ce type.

Un féminisme « infusé plutôt qu'asséné »

Dans certaines institutions plus anciennes, on s'abstient de créer des collections « dédiées » au féminisme pour laisser ce mouvement de fonds imprégner, de lui-même, les lignes éditoriales, en fiction comme en non-fiction. Myriam Anderson, chez Actes Sud, croit en un féminisme « infusé plutôt qu'asséné ». Les auteurs et autrices de sa maison - comme Nancy Huston, Lola Lafon ou Hélène Frappat -, d'après elle, « ne revendiquent rien. Leur féminisme est intrinsèque, rarement thématique. » Chloé Deschamps, chez Grasset, considère qu'en littérature « le féminisme est moins une idée revendiquée qu'une réalité incarnée dans les destins des personnages, féminins en premier lieu, que la fiction expose. On peut dire la même chose des récits personnels, comme ceux de Neige Sinno ou de Vanessa Springora, qui ne sont pas des livres à thèses mais qui, par la réalité qu'ils dévoilent, peuvent être dits féministes parce qu'ils la dénoncent, en l'exposant. » Virginia Woolf -n'affirme-t-elle pas qu'une féministe est « une femme qui dit la vérité sur sa vie » ? 

Chloé Deschamps
Chloé Deschamps, éditrice chez Grasset- Photo JF PAGA

Chez Gallimard, une éditrice parvient à renverser l'ordre ancestral en ne passant pas par la « revendication ». Il s'agit de Margot Gallimard. En prenant la tête, en 2021, de la collection « L'Imaginaire », consacrée à la réédition d'œuvres littéraires oubliées - jusque-là constituée à 89 % d'écrivains (comprendre d'hommes), depuis sa création par son père Antoine en 1977 -, elle y a insufflé - subtilement - ses plus ardentes convictions tout en préservant son ADN d'origine. « J'ai apporté à la collection l'énergie qui m'habite ; un souffle plus féministe, plus queer, plus inclusif. L'immense réservoir du fonds Gallimard regorge d'autrices extraordinaires qui attendent d'être redécouvertes ; j'y ai juste plongé les mains. » Cela se traduit par la réédition d'écrivaines éclipsées, comme Rachilde ou Natalie Barney. Mais aussi par la réparation d'injustices, jusqu'à celle de la censure. C'est ce qui s'est produit en novembre 2023 lors de l'édition non censurée de Ravages de Violette Leduc - qui avait été amputé de ses 150 premières pages par son arrière-arrière-grand-père, Gaston Gallimard, en 1955. « C'est une histoire éditoriale passionnante, et j'en ai fait un combat personnel. »  

Mission possible

Exhumer le « matrimoine » littéraire, lutter contre l'invisibilisation des écrivaines - sans perdre de vue les nouvelles découvertes : telle est la mission féministe à laquelle s'attèlent de nombreux éditeurs et éditrices interrogés ici. Pour Claire Do Sêrro, chez Robert Laffont, il s'agit de remettre au cœur du catalogue les voix féminines qui participent à dessiner l'histoire de la littérature - Rebecca West, Marilyn French, Olga Tokarczuk. Pour Manon Frappa, directrice de la collection « Notabilia » chez Noir sur blanc, cela consiste à faire émerger une icône littéraire en la personne de Maya Angelou, poète et militante. L'effort se révèle souvent payant. Chez Divergences, deux inédits de bell hooks parus récemment ont largement dépassé les 30 000 ventes : La volonté de changer et À propos d'amour. Pour Johan Badour, fondateur en 2016 de cette impressionnante maison de critique sociale située depuis peu en Bretagne, « il y a quelque chose de l'ordre du devoir à rendre accessibles des textes aussi fondamentaux ». 

Élan éditorial

Cet élan éditorial est-il une source d'espoir pour le féminisme contemporain ? Pour Christine Villeneuve, qui a assisté au « backlash » des années 1980 et qui codirige aujourd'hui les Éditions des femmes - Antoinette Fouque, cela ne fait aucun doute. « Nous avons aujourd'hui accès à des outils pour archiver et transmettre les connaissances acquises en matière de féminisme. C'est ce qui manquait à nos prédécesseuses. Plus nous sommes nombreux et nombreuses à y œuvrer, mieux c'est ! » Pour Camille Froidevaux-Metterie, philosophe féministe qui œuvre en ce moment à réunir plus de 80 spécialistes pour présenter les théories et courants qui ont fait le féminisme et qui le redéfinissent aujourd'hui (Théories féministes, ouvrage collectif à paraître au Seuil en 2025), il faut rester en alerte. « Chaque grande avancée dans l'histoire féministe a été suivie d'un reflux. Celui qui se prépare en ce moment est tangible. Mais l'aspiration actuelle à ressusciter les œuvres des femmes et des autrices du passé me donne de l'espoir. Elle signale une dynamique réjouissante d'imprégnation et de diffusion des idées féministes. C'est sur ce socle que nous pouvons enraciner nos luttes ! »

Littérature de genre, avec un grand e

« Thriller féministe », « western queer », ou « conte épistolaire postapocalyptique lesbien » : voici les associations de termes, pas encore tout à fait usuels, qui apparaissent désormais dans les programmes des maisons d'édition à l'automne 2024 et courant 2025. 

En 2020, la romancière Marie Vingtras envoyait son premier manuscrit de roman noir sous un pseudo masculin. « J'avais l'impression qu'une femme ne pouvait pas être prise au sérieux en écrivant de la littérature de genre. » Quatre ans plus tard, cette romancière a vendu 215 000 exemplaires de son premier roman Blizzard (L'Olivier), couronné du Prix des libraires 2022. Elle revient à la rentrée 2024 avec Les âmes féroces, un nouveau roman noir féministe dont le personnage principal est une shérif lesbienne. Et elle est escortée par une foule impressionnante d'écrivaines qui se lancent sur des terres jusque-là peu explorées par les femmes. D'après une libraire, chargée du rayon littérature d'une grande enseigne culturelle, « c'est une vraie tendance que l'on observe depuis le succès de La servante écarlate », science-fiction dystopique de Margaret Atwood, adaptée récemment en série télévisée. 

En mai dernier, les éditions du Tripode ont publié un premier roman en forme de polar porno féministe : La fiancée de personne d'Ava Weissmann, l'histoire d'une femme brillante, sexuellement très active mais dotée d'une légère pathologie, celle de tuer les hommes qu'elle juge être des « connards » en leur arrachant le pénis avec les dents. Au même moment, Chloé Delaume faisait « exploser les phallus » avec un roman inédit intitulé Phallers paru dans la collection « Points féminismes ». Les Forges de Vulcain, toujours à l'avant-garde en la matière, nous ont aussi fait découvrir un roman d'horreur gothique féministe : Jusque dans la terre de Sue Rainsford. Chez Verso enfin, non la grande maison de sciences humaines anglo-saxonne mais le nouveau label grand public des éditions du Seuil, Glenn Tavennec annonce la traduction d'une killer romance intitulée Butcher & Blackbird de Brynne Weaver : « Les new romances et dark romances sont en plein essor depuis des années, mais je parie sur autre chose, explique l'éditeur. À la place des violences, de la toxicité et de la domination du "bad boy", on a ici affaire à des personnages féminins puissants, drôles et trash. Certes, le danger et l'adrénaline demeurent, mais ils sont incarnés par tous les personnages, féminins et masculins. Je trouve que c'est galvanisant ! »

Genres fluides

À partir de cet été 2024, cette fluidité des genres romanesques paraîtra de plus en plus courante. Les éditions Daronnes fêtent la poursuite de leurs aventures avec la parution d'un roman épistolaire postapocalyptique lesbien intitulé Seule d'Audrey Clees. Pour la rentrée, les éditions des Prouesses inaugurent leur nouvelle collection, « Au cœur » - des textes courts signés d'autrices classiques - avec une nouvelle inédite de science-fiction signée Alexandra Kollontaï, figure des révolutions russes, intitulée Bientôt, dans 48 ans. La collection « Sorcières » des éditions Cambourakis accueille, pour sa part, son premier roman étranger : une fiction futuriste, féministe et écologiste traversée par des thématiques contemporaines comme l'injonction à la maternité et le réchauffement climatique : Protocole solitude de l'autrice américaine Joanna Russ. Les Escales annonce un western queer, L'affranchie, de l'Américaine Claudia Cravens, qui réécrit le mythe de la frontière du point de vue des femmes lesbiennes. Chez Fayard, c'est la romancière Clémence Michallon qui réinvente les codes du thriller avec Une locataire si discrète. Pour Camille Emmanuelle, qui pratique ce type de renversement des genres depuis plusieurs années et qui fait paraître en octobre prochain une comédie romantique dans la lignée de la new romance mais dans une version post-MeToo, intitulée Cucul (Verso), cette tendance éditoriale est une excellente nouvelle pour la littérature et la société. « Personnellement, j'ai découvert le féminisme en lisant des livres engagés, mais aussi à travers la culture pop et les littératures de genre. Il s'agit pour moi de déconstruire les stéréotypes et de réveiller les consciences féministes de la façon la plus joyeuse et fédératrice. Du moins je l'espère ! » 

Maisons de la presse

" L'appétit de lire " : c'est ce qui a guidé Victoire Tuaillon, réalisatrice du podcast Les couilles sur la table, au moment de créer, fin 2021, sa collection " Sur la table ", une ligne d'essais concis et solides, " pour mieux respirer ", chez Binge audio éditions.

« Je suis une lectrice assidue de sciences humaines, et je sens une frustration quand aucun livre ne traite des sujets qui me questionnent », glisse l'intéressée. Historiquement, les médias engagés ont tenté de lancer leur maison d'édition - Esprit ou Les temps nouveaux. Mais jamais avec un tel succès. Une exception tout de même : Les Échappés, maison d'édition fondée par l'équipe de Charlie Hebdo. Sur les six essais déjà parus dans cette collection « Sur la table », quatre ont dépassé les 10 000 ventes nettes. D'après Victoire Tuaillon, cette réussite doit beaucoup au modèle alternatif qu'elle a choisi d'établir avec l'éditrice Karine Lanini pour Binge audio éditions. « Au sein de cette structure, nous n'avons pas l'obligation de publier un nombre précis de livres. En tant que directrice de collection, je prolonge mon travail de journaliste. Je cherche des sujets qui m'intéressent, je prends le temps de dialoguer avec les auteurs et autrices, et nous ne publions que ce qui nous semble essentiel, au moment où le texte est prêt. » Soucieuse des usages actuels du lectorat - un temps de lecture qui se réduit -, Victoire Tuaillon tient à travailler les textes « jusqu'au bout, c'est-à-dire faire en sorte qu'il n'y ait pas un seul paragraphe en trop. Sur tout ce travail de recherche et d'édition, notre temporalité n'est pas la même que dans une maison traditionnelle. »

À La Déferlante, revue féministe devenue aussi une maison d'édition, Marie Barbier, Lucie Geffroy, Emmanuelle Josse et Marion Pillas suivent une philosophie proche et empruntent la même ascension. Le premier livre du catalogue, La fin des monstres. Récit d'une trajectoire trans de Tal Madesta (avril 2023), a atteint les 10 000 ventes. « Le fait que notre maison émane de la revue nous offre une liberté en termes de rythme de production. » Par ailleurs, l'équipe éditoriale de La Déferlante connaît, elle aussi, son lectorat. Le succès de la revue (13 000 abonné·es) et sa présence croissante sur les réseaux sociaux permet de lancer des campagnes de communication d'ampleur, suivies de précommandes, avant chaque publication. Pour À nos désirs d'Élodie Font, près de 1 500 exemplaires ont été précommandés un mois avant la parution (le 31 mai 2024). En octobre 2024, La Déferlante éditions se lance dans un format inédit : l'album jeunesse, avec un conte queer et écoféministe (dès 6-8 ans) de Camille Bouvot-Duval, illustré par Léa Djeziri.

« Notre hétérogénéité est un parti pris politique, une façon de s'affranchir des hiérarchies du savoir. Les sources de la connaissance se trouvent dans les livres, comme dans les médias et les réseaux sociaux. Cette vision, inspirée par des pratiques littéraires hybrides, comme celles de Virginia Woolf, autant que par la culture des fanzines, nous autorise un champ de créativité éditoriale très vaste ! »

Souhaitons au nouveau-né de ce boom éditorial, la maison d'édition queer et écologiste Trouble, émanant de la revue Censored - avec le livre remarqué Abécédaire d'auto-édition féministe d'Apolline et Clémentine Labrosse, fondatrices de la revue - de grandir aussi vite que ses sœurs aînées.

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