« Les nouvelles ne sont pas forcément très bonnes », prévient Jérémy Robiolle, directeur du développement de Xerfi Spécific, lors de la présentation d'une étude sur « La situation économique et financière des librairies indépendantes », dimanche 16 juin, aux quelque 1 200 professionnels du livre réunis à Strasbourg pour les 7e Rencontres nationales de la librairie.
Après la parenthèse « enchantée » de l'année 2021 marquée par un rebond exceptionnel des ventes de livres, l'étude montre un retour « brutal » à la réalité pour l'ensemble de la filière. Le marché a en effet subi une contraction de son activité de 2 % en valeur, et de 3,5 % en volume en 2022. Le constat n’est pas beaucoup plus réjouissant en 2023 avec une baisse des ventes en volume de 1,7 %, quand la hausse très modeste du chiffre d'affaires du secteur (+0,9 % par rapport à 2022) est liée aux revalorisations tarifaires dans un contexte d'inflation.
Résilience et « effet ciseaux »
« Il y a quand même des motifs de satisfaction », souligne Jérémy Robiolle, pointant « la grande vitalité du BD-manga » (+8,1 % par an en moyenne entre 2018 et 2023), suivi par la jeunesse (+3,4 %) et les livres de poche (+2 %).
La résilience des libraires semble par ailleurs à toute épreuve, avec une progression de presque 10 % en 2018-2022 du nombre de librairies comptant au moins un salarié. « Cette dynamique de croissance a continué en 2023 avec plus de créations que de disparitions », commente Jérémy Robiolle. « Le taux de défaillance est toujours bien inférieur à la moyenne de l'économie française - entre 2,5 % et 3 % - et n'a jamais été aussi faible », à 1,1 %, ajoute le directeur du développement de Xerfi Spécific.
Voilà pour les points positifs. Mais le reste du tableau témoigne de la fragilisation des performances financières des librairies indépendantes. Celles-ci subissent un « effet ciseaux », entre « une progression très limitée voire une baisse du chiffre d'affaires, et des hausses de coûts très importantes », observe Jérémy Robiolle.
Les petites librairies particulièrement affectées
L'étude pointe notamment une envolée des AACE (autres achats et charges externes : explosion du prix de l’énergie, renchérissement des loyers…), « au plus haut niveau depuis 4-5 ans », ainsi que des frais de personnel des librairies, avec une augmentation de la masse salariale. « Ce rebond n'est pas lié au recrutement mais aux revalorisations salariales », indique Jérémy Robiolle, notamment celle du Smic de +5,5 % en 2022, compensée seulement en partie par les abaissements de charges sociales du CICE.
Parmi les trois strates d’entreprises analysées par Xerfi Spécific, les librairies de petite taille (ayant un chiffre d'affaires compris entre 100 000 et 500 000 euros) ont été particulièrement ébranlées. Leurs frais de personnel ont augmenté en 2022 pour atteindre 18,1 % du chiffre d'affaires, contre 15,5 % en 2021. Un niveau bien au-dessus de celui enregistré pré-Covid (+3,1 pts par rapport à 2019).
Un taux de marge commerciale qui se maintient
De même, la « dégradation très rapide des performances d'exploitation », relevée par l'étude, est « assez alarmante pour les petites librairies », estime Jérémy Robiolle. Le taux d'excédent brut d'exploitation des librairies a en effet fortement diminué en 2022, repassant sous le seuil des 5 % du chiffre d’affaires pour toutes les strates d’entreprises et atteignant même 1,7 % pour les plus petites d'entre elles. En revanche, le taux de marge commerciale des librairies est resté relativement stable, entre 31 % et 37 % du chiffre d'affaires, tous panels confondus, entre 2005 et 2022.
Selon les projections de Xerfi Spécific, les années à venir s'annoncent tout aussi compliquées. Sans coupes dans les dépenses, les experts prévoient des pertes nettes en 2023 pour les petites librairies, à hauteur de 0,5 % de leur chiffre d’affaires. « Il faut remonter à 2014, dans un contexte économique compliqué, pour retrouver pareille situation », est-il mentionné dans les conclusions de l'étude. « À chiffres d'affaires et marges commerciales constants, toutes les catégories de librairies seraient fragilisées par le contexte inflationniste », et perdraient de l'argent en 2025, conclut Jérémy Robiolle, invitant à ouvrir des discussions « sur les négociations et le partage de la valeur » dans la filière.