Ces docteurs-là, dans leur majorité, ont soigné les corps et fabriqué des pathologies sociales. La pire d'entre elles est le préjugé racial. Durant plus d'un siècle, ils ont donné au racisme les contours d'une science. Ils ont mesuré les crânes, comparé les anatomies, examiné la peau, observé les coutumes. Ils ont produit des chiffres, des courbes et des statistiques pour démontrer l'infériorité de l'autre. « La science a créé la pensée raciale que la politique a ensuite diffusée. » Cette idée dûment certifiée par les blouses blanches a fini par instiller une certitude qui a eu la vie longue.
Delphine Peiretti-Courtis (Université d'Aix-Marseille) s'est intéressée au processus de racialisation des corps noirs par des médecins blancs. L'historienne a consulté les dictionnaires médicaux, les monographies d'époque sur les « races humaines » et les ouvrages de médecine coloniale. Elle montre que l'apparition des théories raciales dans les sciences médicales accompagne le projet colonial. La réussite de cette « mission civilisatrice » implique en effet la préservation de la santé des colons et celles des colonisés pour les utiliser. Dans les deux cas, cela suppose une meilleure connaissance de l'autre. Or « la peau agit comme une frontière ». Elle empêche de connaître l'autre, mais pas de le guérir. Les médecins vaccinent contre la fièvre jaune, soignent la syphilis, éradiquent la variole et la peste. « Les colonies constituent en effet un immense laboratoire d'analyse ainsi qu'un lieu d'expérimentation et d'application des nouvelles découvertes. » Avec succès le plus souvent, mais aussi parfois avec la mort comme effet secondaire, comme ce fut le cas avec la Lomidine injectée après la Seconde Guerre mondiale pour combattre la maladie du sommeil.
De la fin du XVIIIe au milieu du XXe siècle, la description des corps africains a évolué. La vision monolithique de la « race noire » fait place à la pluralité africaine. Cette taxinomie ethnique élaborée par les médecins coloniaux ne fait pas disparaître les stéréotypes raciaux comme la virilité des hommes, la fertilité des femmes et l'hypersexualité. « Dans cette perception médicale en anthropologique des indigènes oscillant entre nature et culture, valorisation et répulsion, sauvagerie, évolution et civilisation, le sexe et la sexualité jouent un rôle majeur. »
Ces stéréotypes n'ont hélas pas totalement pas disparu dans la société française. On l'a vu récemment lors d'archives télévisuelles datant de l'année 1995. Il faut néanmoins se garder de la tendance à la culpabilisation et à la victimisation, fréquente lorsqu'on aborde ces études postcoloniales et intersectionnelles. Delphine Peiretti-Courtis contourne cet écueil. En restant sur sa recherche, en produisant de nombreux documents, elle montre la construction du racisme médical. Elle parvient ainsi à faire comprendre comment un préjugé se banalise quelquefois même sous la forme d'un inconscient collectif qui ressurgit parfois à la télévision, dans les réseaux sociaux et même dans les discours politiques.
Corps noirs et médecins blancs
La Découverte
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 21 € ; 340 p.
ISBN: 9782348045011