On dit « orphelin » pour désigner quelqu'un dont les parents sont morts. Quel est le mot pour exprimer l'état de celui ou de celle qui perd son enfant ? Une génération passe, l'autre lui succède, c'est dans la logique des choses, le narrateur le comprend qui est professeur de mathématiques. Mais l'inverse ? Week-end en famille avec sa femme et leur fille de 7 ans, passé dans le bungalow de Davy Crockett à Eurodisney, la petite se plaint d'une douleur au genou. Echographie, scanner, biopsie, IRM... le diagnostic tombe : sarcome d'Ewing. Le jargon médical ne parvient pas à créer la distance, les forums sur Internet ont beau parler d'"un malheureux cas sur un million", ils ne fournissent aucune explication. Ce réel qui vous frappe de plein fouet est un mur d'incompréhension. La bouée de Ian Soliane est le récit de deuil d'un homme que la mort de sa fille a détruit. Atteint de troubles du comportement, il arrête de travailler, son couple est en ruines, il vit désormais seul avec son chat dans un appartement vide, ressassant les souvenirs de son enfant trépassée, se masturbant sur la robe de la femme qui l'a quitté, son rapport à autrui s'est réduit aux séances chez le psy. Un jour, le félin disparaît, et au cours de ses recherches le narrateur rencontre un clochard qui dit savoir où se trouve l'animal et le conduit vers un tas d'ordures. Sous le signe de la détresse, une espèce d'amitié se noue entre les deux hommes.
Ian Soliane est l'auteur de textes âpres - on se souvient notamment de son histoire d'inceste Le crayon de papa (Léo Scheer, 2004). La douleur dans La bouée est la matière même du roman, sa rugosité empêche le pathos dégoulinant, elle a la dureté du minéral, un diamant brut dans lequel l'écrivain a taillé plusieurs facettes : la narration du père à la dérive ; ses passages adressés comme des lettres d'amour à sa fille et qui racontent l'agonie de l'une et l'impuissance de l'autre ; les délires cauchemardesques enfantés par un deuil impossible. Mais La bouée est aussi une histoire de rédemption : le narrateur rédime sa culpabilité d'avoir été impuissant en aidant le SDF Jacek à refaire surface, il renaît et se réconcilie non pas avec l'humanité en général, dont il ne se soucie guère, mais avec la sienne propre : l'irrépressible désir d'être en vie.