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Contrat d'édition : pourquoi ça coince ?

OLIVIER DION

Contrat d'édition : pourquoi ça coince ?

A nouveau dans l'impasse, les négociations entre auteurs et éditeurs sur le contrat numérique ont buté sur la durée de cession des droits et la rémunération. La ministre de la Culture veut reprendre le dossier mais, faute de consensus, la réunion du CSPLA qui devait approuver le projet est repoussée à l'automne.

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Par Hervé Hugueny
Créé le 08.10.2014 à 20h37 ,
Mis à jour le 09.10.2014 à 17h19

A la fin de juin, le projet d'accord "sur le contrat d'édition à l'ère numérique" était plus proche de la reconversion en confettis que de la consécration au champagne, alors qu'il était annoncé quasi signé au Salon du livre. Au lieu d'en arriver à d'aussi regrettables extrémités, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), qui supervise les discussions entre le Conseil permanent des écrivains (CPE) et le Syndicat national de l'édition (SNE), a sagement décidé de repousser sa réunion plénière prévue le 12 juillet prochain. Auteurs et éditeurs s'y seraient renvoyé la responsabilité de l'impasse dans laquelle se trouvent de nouveau leurs négociations, relancées en septembre 2011 après quatre années d'échanges infructueux. Dans son discours suivant l'assemblée générale du SNE, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, a aussi jugé bon "de marquer une pause", en rappelant les éditeurs à leurs responsabilités, notamment en matière de rémunération, et en s'inquiétant de la radicalisation des auteurs (qu'elle n'avait pas encore rencontrés).

1. POURQUOI REDISCUTER LE CONTRAT D'ÉDITION ?

En novembre 2007, Alain Absire, alors président de la Société des gens de lettres (SGDL), avait ouvert le débat dont les termes ont peu évolué depuis. Faut-il un contrat séparé pour le numérique ? La durée d'exploitation concédée doit-elle rester identique à l'usage établi pour l'imprimé, soit toute la durée de la propriété intellectuelle prenant fin soixante-dix ans après la mort de l'auteur ? Enfin, pour l'auteur, qu'est-ce qu'une rémunération "juste et équitable" ainsi que le stipule le récent article L132-5 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) ?

La loi de 1957 ne prévoyait évidemment pas la commercialisation d'un livre sous forme numérique, pas plus que le Code des usages signé en décembre 1980. La fameuse clause d'avenir, introduite au début des années 2000, affirmant que l'exploitation est concédée sur "tous supports et par tous procédés actuels et futurs", est pour le moins incertaine juridiquement. Et de toute façon, elle ne définissait pas de montant de rémunération pour lesdits moyens encore inconnus au jour de la signature. Il fallait donc discuter d'un avenant.

Depuis la fin des années 2000, les contrats d'édition contiennent des clauses relatives à l'exploitation numérique, d'abord alignées sur celles du livre imprimé. Quelques éditeurs proposent maintenant une rémunération à peu près égale en valeur absolue entre les deux supports. Les jeunes auteurs signent tout sans discuter. Ceux qui ont déjà quelques livres au compteur se montrent méfiants. Daniel Pennac, auteur de la saga Malaussène et d'un récent prix Renaudot, a ainsi confié à son avocat la négociation de ses avenants avec Gallimard. Paul Fournel n'a pas plus cédé l'exploitation numérique d'Anquetil tout seul, qui vient d'être publié au Seuil, et refuse tout avenant sur ses livres antérieurs. "Triste mais pas surpris de l'échec des discussions entre auteurs et éditeurs", il a fait une exception pour La liseuse, publié chez P.O.L, eu égard au thème du livre - le portrait d'un éditeur confronté à l'irruption d'une machine à lire. C'est pour éviter cette disparité que les représentants des auteurs souhaitent une adaptation du Code de la propriété intellectuelle, à laquelle les éditeurs ont aussi intérêt, pour lever les blocages exercés par leurs auteurs les plus expérimentés.

2. SUR QUOI SONT-ILS D'ACCORD ?

Auteurs et éditeurs ont accepté le cadre et le principe des discussions. Instruits par l'échec des échanges précédents, ils se sont placés sous l'égide du CSPLA, qui dépend du ministère de la Culture. Celui-ci a désigné une commission de 36 membres, présidée par Pierre Sirinelli, professeur de droit spécialiste de la propriété intellectuelle, secondé par Anissia Morel, conseillère d'Etat. Ramenée à un groupe restreint de négociateurs uniquement concernés par le livre (car l'article "contrat d'édition" du Code de la propriété intellectuelle s'applique aussi aux oeuvres audiovisuelles et musicales), cette commission s'est réunie jusqu'à deux fois par mois depuis septembre. Auteurs et éditeurs se sont aussi entendus pour limiter les modifications du CPI, nécessitant une loi et donc un vote au Parlement, et pour renvoyer les modalités d'application du nouveau contrat dans un code des usages, validé par le ministère de la Culture et qui s'imposerait à tous.

Les représentants du CPE et du SNE s'accordent à dire qu'ils ont consenti de nombreuses et considérables concessions, en sous-entendant, chacun de leur côté, que les leurs sont plus importantes que celles de leur vis-à-vis. "Les auteurs ont abandonné leur souhait d'avoir deux contrats séparés, avec des droits numériques à durée limitée", souligne Jean Claude Bologne, président de la SGDL, un groupement d'auteurs qui compte, mais qui doit aussi composer avec les 16 autres organisations constituant le CPE. Auteurs et éditeurs ont néanmoins trouvé un terrain commun à propos d'une clause de rediscussion des conditions économiques du contrat. Ils ont aussi approuvé la création d'une commission de conciliation. Ils ont évacué un différend surgi à propos du caractère automatique de l'éventuelle reprise des droits numériques. Et ils ont défini l'exploitation permanente et suivie d'un ebook : l'oeuvre doit être exploitée dans sa totalité sous une forme numérique, figurer au catalogue de l'éditeur, dans un format technique compatible avec les usages du marché et accessible sur un ou plusieurs sites - la non-observation d'un de ces critères entraînant la perte des droits numériques par l'éditeur.

3. SUR QUOI ÇA BLOQUE ?

Tout s'est grippé à propos de la réciprocité de récupération des droits : "Certains représentants d'auteurs ont contesté la symétrie et la cohérence du contrat : selon eux, si les droits numériques ne sont pas exploités, l'éditeur peut garder les droits imprimés ; par contre, si les droits imprimés ne sont pas exploités, l'éditeur perd tout le contrat", déplore le SNE, qui juge ce point non négociable. Pour les auteurs, il ne s'agit que d'une bonne logique juridique, découlant de la volonté des éditeurs de maintenir un seul contrat, à partir des droits imprimés qui commandent tout le reste.

Derrière cette crispation, c'est la question de la durée qui resurgit : la fluidité du numérique ligote les auteurs qui ne pourront plus compter sur les ruptures d'exploitation du papier pour récupérer des droits que leur éditeur conserverait soixante-dix ans après leur mort... "On enlève une soupape de sécurité", analyse Jean Claude Bologne. Philippe Robinet, récent cofondateur de Kero, entend cette préoccupation et propose un contrat de vingt ans renouvelable pour l'imprimé, et une clause de rediscussion pour le numérique.

Mais le SNE, comme le CPE, doit aussi faire la synthèse d'approches différentes. Pour les éditeurs juridiques et techniques, le numérique est déjà primordial, et il n'est pas question d'en soumettre l'économie à celle de l'imprimé (voir encadré p. 16). Pour les maisons de littérature générale, cet usage très français de cession des droits pour la durée de la propriété intellectuelle est une garantie de stabilité à laquelle il apparaîtrait aberrant de renoncer, alors que se profile une grande période d'incertitude. Dans l'interview ouvrant le numéro de la revue Le Débat consacré au livre et au numérique, Antoine Gallimard explique ainsi la longévité de la maison qu'il dirige : "La clé de voûte d'un tel dispositif, son principe de stabilité, c'est la nature et la durée des droits cédés par l'auteur dans le cadre du contrat d'édition."

Alors président du SNE, le P-DG de la première maison française par la nature de son fonds s'était montré très attentif à cette question, tout comme Paul Otchakosvky-Laurens. Président du groupe Littérature au SNE, éditeur représentant ses pairs au CSPLA, patron d'une maison aussi très littéraire et filiale de Gallimard, attaché à l'intégrité de son catalogue, "P.O.L" est assurément plus sensible à la durée des droits qu'un de ses homologues spécialisés dans le pratique ou les documents d'actualité.

Mais ce qu'ils refusent aux auteurs indigènes, les éditeurs français l'accordent aux auteurs américains ou anglais, pour lesquels il serait ahurissant de céder leurs droits numériques, et même imprimés, jusqu'à la deuxième ou troisième génération de leur descendance. Avec leurs agents, Antoine Gallimard estime même qu'un contrat "d'au moins dix ans" serait un progrès par rapport à la brièveté des engagements actuels.

4. QUELS SCÉNARIOS POUR LA SORTIE DE CRISE ?

"Les éditeurs gardent l'espoir qu'un accord reste possible", selon le SNE, qui maintient cependant sa position concernant la rétrocession des droits. Aussi en désaccord avec certains points concernant la rémunération des auteurs, le CPE a pour sa part déclaré qu'il ne voit d'autre solution que le retour à ses demandes initiales : "un contrat séparé pour l'édition au format numérique et une durée limitée (trois ans) pour la cession des droits numériques". Une position qui inquiète la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, à qui son administration déconseille de se lancer dans un projet de loi non consensuel : "Les amendements des parlementaires partiraient dans tous les sens, ce serait ingérable", prévient-on au Service du livre et de la lecture. La ministre veut donc reprendre le dossier et espère revenir "après l'été avec de nouvelles propositions". La réunion du CSPLA serait reprogrammée, dans une atmosphère pacifiée, début octobre.

Editer c'est un métier, même pour les auteurs

Jean-Claude Dunyach : « Avec une demi-douzaine de livres, je réalise environ 150 euros de ventes mensuelles, dont je perçois 70 %. » - Photo OLIVIER DION

Sur le Kindlestore d'Amazon, soeur Blandine et ses enquêtes policières menées en bord de Saône retrouvent une seconde vie, et caracolent depuis trois mois en tête des meilleures ventes de livres numériques du site. "J'avais récupéré mes droits assez rapidement, après avoir rompu avec Le Masque, éditeur de mes premiers titres avec ce personnage, au début des années 2000. De nombreux lecteurs me redemandaient ces livres, qui n'étaient plus exploités. Amazon m'a contacté, et m'a proposé de les reprendre en version numérique", explique simplement Philippe Bouin, auteur de romans policiers, maintenant publiés à L'Archipel. "Plusieurs autres éditeurs numériques m'ont contacté", assure-t-il. La reprise d'ouvrages épuisés au potentiel oublié est une des facettes de l'édition, mais Amazon dispose d'avantages inconnus à ce jour, en raison de la dimension de sa base clients. "Nous observons les demandes des lecteurs", mentionne le service de presse du site. Englué dans des problèmes d'accès à Internet depuis quelques semaines, Philippe Bouin ne sait pas ce que lui ont rapporté ses trois Blandine numérisés (4,48 euros l'aventure), et s'en préoccupe modérément.

RECETTES ENCORE FAIBLES

Philippe Bouin : « Amazon m'a contacté, et m'a proposé de reprendre mes romans en version numérique. "- Photo OLIVIER DION

Focalisée sur la nouveauté, la littérature de genre (polar, SF, sentimental) entretient peu ses fonds et se prête donc à ces expérimentations qui supposent quelques compétences technologiques. Elles ne rebutent pas Jean-Claude Dunyach, parolier, auteur de nouvelles et de romans de SF (publié à L'Atalante, au Fleuve noir et chez J'ai lu), et également ingénieur chez Airbus. "J'ai récupéré les droits de titres épuisés lorsque le numérique n'existait pas encore. J'aurais peut-être plus de difficultés aujourd'hui." Depuis six mois, il a entrepris leur réédition au format ePub, et non leur autoédition, insiste-t-il, pour se démarquer des auteurs solitaires dont les textes n'ont jamais été validés par un éditeur. L'essentiel des ventes vient d'Amazon, même s'il a aussi déposé ses ePub (de 2,66 à 3,20 euros) sur Lulu.com et l'iBookstore d'Apple. Il reconnaît volontiers que les recettes sont encore faibles. "Avec une demi-douzaine de livres, je réalise environ 150 euros de ventes mensuelles, dont je perçois 70 %."

L'auteur d'Etoiles mortes est apprécié dans le milieu de la SF et du polar, car il partage volontiers son expérience sur des salons du livre ou sur son site Internet. Autre spécialiste connu des technophiles, Thierry Crouzet, auteur récent de J'ai débranché : comment revivre sans Internet après une overdose (Fayard), avait posté l'an dernier sur son blog « >Comment publier sur Apple iBookstore". "L'autopublication demande du temps, c'est la leçon ; soit tu vends beaucoup et tu embauches quelqu'un pour la gestion, soit tu passes par un éditeur... et tu te simplifies la vie", explique aujourd'hui ce militant du projet Indisponibles.fr, qui dit être revenu à l'écriture de livres. François Bon, qui avait aussi commencé par reprendre ses textes, a créé Publie.net, embauché, continué d'écrire et d'être publié.

Mais chez les littéraires, ces expériences technico-éditoriales soulèvent encore peu d'appétence. D'une part, les fonds sont en général mieux suivis, reconnaissent Paul Fournel et Hervé Le Tellier, dont la quasi-totalité de la bibliographie est toujours disponible. "Les auteurs sont très loin de vouloir la mort des éditeurs ; je préfère continuer à travailler avec le mien, au lieu d'essayer de le contourner via Amazon", ajoute Hervé Le Tellier, pourtant cosignataire, dans Le Monde, d'une tribune très irritée contre les "inéquitables droits du livre numérique".


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