Pour sa 26e édition, le festival littéraire de la plus littéraire des villes anglaises (et peut-être du monde), a rassemblé une centaine d’auteurs, très largement anglo-saxons, pour des lectures, rencontres et tables rondes. Avec quelques particularités : par exemple d’investir tous les hauts lieux culturels de la ville, notamment quelques Colleges (universités), désertés par leurs étudiants en vacances de Pâques, des bibliothèques parmi les Bodleian Libraries (notamment la Bodleian elle-même, le Sheldonian Theatre, la Weston Library), ainsi que la fabuleuse librairie Blackwell’s, un vrai paradis pour les lecteurs, laquelle gère également le site du Festival, et sa billetterie. Car, autre particularité de l’Oxford literary festival, dans la très libérale Angleterre de Rishi Sunak toutes les rencontres sont payantes : en moyenne 12,50 £ (7 £ pour les étudiants), sachant que le cours actuel de la monnaie britannique est à 1,20 euros. Impensable en France, mais la manifestation est entièrement privée et sans subventions des pouvoirs publics.
Parmi les écrivains présents, l’auteur de polars Val McDermid, bien connue chez nous, dialoguait avec Dame Sue Black, anatomiste et anthropologue, l’essayiste Samuel Ramani, expert en politique internationale, se livrait à une analyse de l’invasion de l’Ukraine par Poutine, Mick Herron, l’un des auteurs de thrillers les plus connus au Royaume-Uni, se voyait honoré d’un entretien avec Lord Chris Patten, Chancelier de l’Université d’Oxford, tandis qu’une table ronde réunissait quatre brillants jeunes romanciers, Tom Crewe, Maddie Mortimer, Aidan Cottrell-Boyce et Santanu Battacharya, racontant leur expérience de l’écriture, et leur parcours pour être publiés.
Ce qui fut aussi quelques-uns des thèmes abordés par Colm Tóibín, venu recevoir sa Bodley Medal des mains de Richard Ovenden, directeur des Bodleian Libraries. Soit un ensemble de 27 sites dans toute la ville, afin de conserver les millions de volumes des collections, ainsi que les arrivées du Dépôt légal… depuis 1610, mais à la demande. Au Royaume-Uni, les éditeurs qui le souhaitent peuvent effectuer leur dépôt légal dans six bibliothèques : la British National Library de Londres, la Bodleian d’Oxford, la bibliothèque de sa rivale de toujours Cambridge, celle de Trinity College à Dublin, celles nationales du Pays de Galles et de l’Ecosse.
« Depuis 2013, ajoute le Bibliothécaire (c’est son titre officiel), nous avons lancé une publication digitale afin de donner accès aux six dépôts légaux ». Quant à la médaille, prestigieuse, elle est décernée chaque année, depuis 2002, à des écrivains ou à des gens de culture. La première promotion réunissait la « reine du crime », la Baroness PD James et le très contesté magnat des médias Rupert Murdoch. Il y eut ensuite, entre autres, Ian McEwan (2014), William Boyd (2017), l’économiste et philosophe indien Amartya Sen (2019), Zaddie Smith (2022), ou encore la grande actrice Dame Maggie Smith (en 2016), l’extraordinaire comtesse douairière de Downton Abbey. Tout cela est très commmonwealth, aucun français… « Pour l’instant ! », conclut Richard Ovenden, avec ce tact et cet humour si british, dont il a fait assaut lors de son dialogue avec Colm Toibin.
Photo JOHN CAIRNS
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Cinq questions à Colm Tóibín
Auparavant, le célèbre écrivain irlandais -traduit en français depuis Maison des rumeurs (Robert Laffont, 2019) et dont le dernier roman, Le magicien, paru chez Grasset à la rentrée 2022, a remporté un beau succès, environ 10 000 exemplaires vendus selon l’éditeur- avait accepté de répondre aux questions de Livres-Hebdo. Il y parle de sa façon de travailler, du choix de ses sujets, et nous annonce, en exclusivité, son prochain livre.
Livres Hebdo : Après Henry James, vous avez consacré un roman, Le magicien, à Thomas Mann. Pourquoi pas un essai, ou une biographie ?
Colm Tóibín : Je ne suis pas intéressé par la connaissance, mais par la création, l’illusion. Quand et où les choses se sont passées, comme un portrait en couleurs. Le cas de Thomas Mann est très intéressant. Il y a l’homme public, célèbre, et l’homme privé, austère, silencieux, mystérieux. L’homosexuel, qui fait quand même six enfants à son épouse, issue de la grande bourgeoisie juive, une femme ironique, intelligente, et qui savait tout sur les goûts de son mari. Thomas Mann était un très bon candidat pour un roman !
Que pensez-vous de l’adaptation par Visconti de son roman Mort à Venise ?
Irregardable aujourd’hui ! Beaucoup trop kitsch, et la musique de Mahler est sinistre. Le film a popularisé le livre, mais sur un malentendu. Katia Mann raconte toute l’histoire, réelle, dans ses mémoires. Finalement, mon livre, c’est l’histoire d’un mariage, un vrai.
Pareil pour Henry James ?
La grande différence, entre les deux, c’est la question de la guerre. James a écrit toute sa vie en temps de paix. C’était les « golden years ». Mann a vécu tous les conflits des débuts du XXe siècle. C’est comme cela que le Prussien militariste et monarchiste est devenu un homme différent, pacifiste, démocrate. C’est un peu, toutes proportions gardées, la même évolution chez les intellectuels irlandais de ma génération. Après les années de nationalisme et de violences, 1972-1977, nous avons changé. Depuis le traité signé il y a 25 ans, deux identités cohabitent, irlandaise et britannique. Il est temps de ranger au placard les drapeaux catholiques et protestants.
Où vivez-vous ?
Entre l’Irlande et la Californie. Je suis professeur de littérature à la Columbia University de Los Angeles. C’est aussi formidable pour jouer au tennis, mon autre grande passion.
Votre prochain roman se situe aux Etats-Unis ?
Oui, je l’ai écrit en deux ans, bien plus vite que Le magicien. Il s’appelle Long Island, c’est une histoire d’Irlandais qui émigrent en Amérique, au début du siècle passé. Il paraît en anglais en 2024. J’ignore si une traduction française est déjà prévue…
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