Duras chez elle. Marguerite Duras fut par-dessus tout écrivain. Un statut expliqué, claironné, voire ressassé, jusqu'à inspirer le titre d'un de ses derniers livres, Écrire (Gallimard, 1993). Mais elle fut aussi une femme d'image, à l'écriture très visuelle, qui toujours intégra dans ses ouvrages ses lieux emblématiques, ceux de son enfance en Indochine, puis ceux où elle habita en France. En parallèle de son œuvre littéraire, n'oublions pas son travail pour le cinéma, le théâtre, imbriqué et indissociable : Hiroshima mon amour, Le camion, India Song... Tout, chez elle, fait sens, et tout est constitutif de ce tout nommé Duras, avec son narcissisme revendiqué, provocateur.
Elle qui adorait s'épancher dans des entretiens avait déjà publié, avec Michelle Porte, en 1977, Les lieux de Marguerite Duras. Ce livre était le résultat de deux émissions éponymes à la télévision, illustré de photos en noir et blanc montrant l'Indochine, mais aussi la maison de Neauphle-le-Château avec son parc, et l'appartement de la résidence des Roches Noires à Trouville. Là résida jadis Proust, l'un de ses écrivains de prédilection, là eut lieu sa première rencontre avec Yann Andréa, son dernier amour. Un refuge qu'elle acquit sur le tard et dont la vue sur la mer nourrit l'imaginaire de ses derniers livres, comme La pute de la côte normande (Minuit, 1986). C'est là qu'elle reçut la presse, en 1984, après l'attribution du prix Goncourt à L'amant.
Catherine Faux publie un bel album en couleurs, où elle donne à voir aussi les autres hauts lieux durassiens comme l'appartement du 5, rue Saint-Benoît, où l'écrivain vécut de 1942 à sa mort en 1996. Elle en était locataire, alors qu'elle possédait par ailleurs une chambre de bonne dans la même rue (où logeait et mourut Yann Andréa en 2014) et un appartement rue de Rennes. Grâce à Catherine Faux, on explore également les ruines du Platier, près de Duras, Lot-et-Garonne, la maison du père, ce père si absent et si présent dans sa mémoire. Et on est accueilli dans l'intimité de Neauphle-le-Château, demeure superbe, comme si Duras venait d'en partir. La photographe excelle à reconstituer les ambiances, à montrer les objets choisis et chinés avec soin, disposés dans un bric-à-brac familier.
Marguerite Duras, si elle était depuis longtemps un écrivain internationalement célèbre, attendit 1984 et ses 70 ans pour recevoir le prix Goncourt, vécu par tout le monde comme une consécration. Gardant la tête froide, avec ce culot sublime qui la caractérisait, elle salua son succès d'un « pourquoi ne donnerait-on pas le Goncourt à un livre qui mérite le Goncourt ? », et définit son livre indéfinissable comme « un livre tellement dans la littérature ». L'amant n'est toujours pas repris en poche. Il s'en est vendu jusqu'à présent 2,4 millions d'exemplaires. Il est traduit dans 35 pays. Les Éditions de Minuit, pour célébrer ses 40 ans, le republient dans une édition spéciale, augmentée de quatre entretiens avec des journalistes, restés inédits en volume, et de quelques fac-similés de pages manuscrites et tapuscrites des neuf versions du texte écrit entre février et mi-mai 1984. Un bel écrin pour ce « texte sauvage », comme disait Duras, dont l'éditeur a poussé l'élégance jusqu'à imprimer juste 84 exemplaires de l'édition originale sur vergé. Collector, dit-elle.
Chez Marguerite Duras
HD ateliers Henry Dougier
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 30 € ; 144 p.
ISBN: 9791031206233
L’amant (édition spéciale)
Minuit
Tirage: NC
Prix: 19 € ; 192 p.
ISBN: 9782707355683