Avant-critique Roman

Amélie Nothomb, "Tant mieux" (Albin Michel)

Amélie Nothomb - Photo © Jean-Baptiste Mondino/Photography agency Iconoclast

Amélie Nothomb, "Tant mieux" (Albin Michel)

Après deux livres consacrés à son père, Amélie Nothomb aborde enfin la figure maternelle, en recourant à un habile dispositif romanesque.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 01.07.2025 à 09h00

Mal de mère. Il faut attendre la page 179 (sur 216) pour qu'Amélie Nothomb, à la première personne comme dans nombre de ses autres romans, prenne la parole et nous livre le fin mot de toute l'histoire qu'elle vient de raconter : ceux qu'elle appelle Adrienne et Armel sont bien ses parents. Car, si les prénoms des personnages ont été modifiés, Amélie revendique la véracité des faits qu'elle relate, y compris les plus invraisemblables. Comme le comportement de cette Astrid, la mère d'Adrienne, psychologiquement très perturbée, en butte à la jalousie (justifiée) de son mari (volage également), voire à ses violences. Astrid se venge en détestant sa fille aînée, Jacqueline, et en massacrant tous les chats de son entourage. Elle hait ces animaux parce que sa propre mère, « Bonne Maman de Gand », une espèce de sorcière sordide et monstrueuse, les adore alors qu'elle maltraite tous les humains à sa portée. Adrienne, envoyée chez ladite Bonne Maman pour les vacances d'été en 1942 alors que la Belgique, vaincue, envahie, est occupée et affamée par les Allemands, en fera la sinistre expérience. Elle vivra un véritable calvaire, alors que Jacqueline, elle, confiée à « Bonne Maman de Bruges », la mère de son père, aimante et riche, passera des vacances épatantes. Pour faire face et ne pas sombrer, Adrienne, 4 ans à l'époque, s'est forgé une devise : « Tant mieux », une formule magique pour conjurer le sort et supporter l'insupportable. Avec une force de caractère étonnante, elle en usera durant toute sa vie. Ce sont ces mots, comme sur un blason, qui donnent son titre au présent roman d'Amélie Nothomb.

Laquelle traite de sa mère, morte le 11 février 2024, pour la première fois, alors que son père, décédé le 17 mars 2020, avait déjà été évoqué dans Premier sang (2021), puis à nouveau dans Psychopompe (2023). Elle s'en explique dans des pages particulièrement passionnantes du point de vue de sa psychologie et de son travail d'écrivain. Si elle aimait ses deux parents d'un amour égal, partagé avec sa sœur Juliette, Amélie était plus une fille à papa  qu'une  fille à maman. Avec son père, diplomate, qu'elle appelle ici Armel, le contact était permanent, immédiat, le dialogue aisé. Avec Adrienne, tout était plus compliqué, peut-être parce qu'elles se ressemblaient trop. « Quand mon père est mort, j'en ai parlé aussitôt et partout. Je ne pouvais pas faire autrement. [...] Quand ma mère est morte, j'ai été incapable d'en parler. [...] Je n'ai pas pu faire autrement », écrit la romancière. Qui ajoute : « Je suis mon père, [...], je ne suis pas ma mère. »

Cela nous vaut un livre subtilement construit, romanesque façon Nothomb jusqu'à la page 179, autobiographique ensuite. Sans transition, mais avec une structure en boucle, jusqu'à la pirouette finale. Du grand art. Amélie Nothomb a fini par pouvoir parler de sa mère, tant mieux.

Amélie Nothomb
Tant mieux
Albin Michel
Tirage: 200 000 ex.
Prix: 19,90 € ; 216 p.
ISBN: 9782226504395

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