Avant-critique Histoire

Camilla Townsend, "Le cinquième soleil. Une autre histoire des Aztèques" (Albin Michel)

Camilla Townsend - Photo © Rutgers SAS

Camilla Townsend, "Le cinquième soleil. Une autre histoire des Aztèques" (Albin Michel)

Dans un livre événement, l'historienne américaine Camilla Townsend puise dans des sources autochtones pour raconter la chute de l'Empire aztèque. Éblouissant.

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Par Laurent Lemire
Créé le 12.12.2023 à 09h00

La gloire des vaincus. Certains clichés ont la vie dure. C'est le cas de la cruauté supposée des Aztèques, avec leurs pratiques sacrificielles et ces cœurs arrachés des corps des suppliciés. Ces récits terrifiants nous ont été transmis par les conquistadors. Camilla Townsend est allée y voir de plus près. Cette historienne américaine qui enseigne à l'université Rutgers, dans le New Jersey, a puisé dans d'autres sources que les mémoires des conquérants, notamment dans les textes en nahuatl − langue encore parlée par plus d'un million et demi de Mexicains aujourd'hui −, ces annales anciennes rédigées après la conquête par des intellectuels indigènes.

« Les Aztèques ne se reconnaîtraient jamais dans l'image de leur monde telle qu'elle ressort des livres et des films que nous avons produits. Ils se considéraient comme des gens humbles qui avaient su tirer le meilleur parti d'une situation peu favorable, qui avaient fait preuve de courage et en avaient ainsi récolté les fruits. Ils croyaient que l'univers avait déjà implosé quatre fois et qu'ils vivaient sous le cinquième soleil, grâce au courage extraordinaire d'un homme ordinaire. »

Son étude publiée en 2019 aux États-Unis a été saluée pour son originalité et a reçu en 2020 le prestigieux prix Cundill décerné par l'université McGill au Canada. De la même manière qu'avec Amin Maalouf on a pu voir les croisades selon les Arabes, la conquête est désormais vue selon ceux qui en furent les victimes. Car ce sont bien les Espagnols qui redoublaient de barbarie en baptisant les jeunes filles aztèques avant de les violer.

Camilla Townsend n'élude pas les rituels sacrificiels, mais elle explique qu'ils ne se situaient pas au centre de la vie politique et spirituelle comme ont voulu le faire croire les Européens. Ces comportements leur ont permis d'affirmer leur prétendue supériorité morale sur ces peuples considérés comme non civilisés.

Tenochtitlan, la capitale de l'Empire aztèque, était une grande ville, l'équivalent de Londres, lorsque les soldats d'Hernán Cortés y entrèrent en 1521. Et ils ne furent pas pris pour des dieux ! C'est encore une fable ici écornée. Les chroniques ne disent rien de cela, même si Cortès avait en effet tendance à se prendre pour un être suprême. Ce sont les franciscains qui ont inventé cela, a posteriori, pour justifier leur mainmise sur les indigènes.

Ce Cinquième soleil éclaire d'une lumière nouvelle cette histoire des Aztèques en leur donnant la parole, pour qu'ils nous disent comment ils ont vécu cette tragédie. Ils ont vite compris qu'ils ne pourraient vaincre ces troupes à l'armement supérieur au leur. Moctezuma II avait tenté d'acheter les Espagnols avec de l'or, des esclaves et des textiles. En vain. L'acier, les canons et la variole ravageront son peuple. Les Aztèques ont été sauvés de l'oubli par ces textes retrouvés par Camilla Townsend. En la lisant, on pense à ce long morceau de Neil Young intitulé Cortez the killer qui chante une civilisation paisible où « la haine n'était qu'une légende ».

Camilla Townsend
Le cinquième soleil. Une autre histoire des Aztèques
Albin Michel
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 26,90 € ; 416 p.
ISBN: 9782226460295

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