Liberté, liberté chérie. De toute notre histoire nationale, la loi la plus fondamentale est sans doute celle, fameuse, du 29 juillet 1881, sur la liberté d'expression, celle de la presse entre autres. Extrêmement protectrice, elle est toujours en vigueur même si certains ont tenté de la restreindre. Comme d'une certaine façon la loi Pleven du 1er juillet 1972, contre la provocation à la haine. Récemment encore, un amendement allongeant le délai de prescription en cas d'injure publique ou de diffamation à un élu a été approuvé par le Parlement. Depuis les années 2000 et le retour des religions au premier plan dans nos sociétés, cette liberté garantie par l'État est de plus en plus souvent menacée.
Dans une exposition aux Archives nationales (jusqu'au 1er juillet 2024) dont ils sont les cocommissaires scientifiques, deux historiens, Amable Sablon du Corail, responsable du département Moyen Âge et Ancien Régime aux Archives nationales, et Jacques de Saint Victor, professeur d'histoire du droit à l'université Sorbonne-Paris-Nord et collaborateur du Figaro littéraire, retracent chronologiquement l'histoire et les significations du sacrilège et du blasphème, lesquels peuvent être considérés comme les formes extrêmes de la liberté d'expression. Parce qu'ils touchent les points les plus sensibles : la morale, les institutions, les religions...
Le premier sacrilège connu fut le philosophe Socrate, qui vivait pourtant à Athènes, la « mère » de la démocratie occidentale. En 399 av. J.-C., accusé d'être un blasphémateur et de corrompre la jeunesse, il fut jugé coupable et condamné à boire la ciguë. Pour crime d'État, à la fois contre les institutions laïques et contre la religion. Plus une atteinte à la morale. Ce dernier chef d'accusation en moins, mais celui de complot politique en plus, Jésus subit un sort semblable, dénoncé par ses coreligionnaires aux autorités romaines qui l'exécutèrent. On pourrait multiplier les exemples d'hommes persécutés pour leurs opinions, jusqu'à Salman Rushdie.
Ce qui est particulièrement intéressant, dans cette longue histoire de sacrilège et de blasphème, c'est un perpétuel mouvement de balancier entre le crime sécularisé et le crime sacré. En France, c'est la royauté, absolue et de droit divin, qui a ajouté une dimension religieuse au politique. Par voie de conséquence, le corps du monarque était également sacré, et toute atteinte qui lui était portée, punie des pires châtiments : qu'on se souvienne de Ravaillac ou de Damiens. Ceci disparut avec les Lumières et la Révolution, mais il a existé en France, jusqu'à il n'y a pas si longtemps, un délit d'offense au chef de l'État : Pétain s'en servit dans quelque trois cents procès, de Gaulle dans cent cinquante. Il a été aboli en 2013 par François Hollande. Quant au délit de blasphème religieux, il n'existe pas dans notre pays, au grand dam de tous les fanatiques. Il n'empêche que tant d'êtres humains, entre autres journalistes, dessinateurs, prêtres, ou enseignants, ont été assassinés sous ce prétexte. Cette exposition nécessaire, et le présent livre qui l'accompagne et en constitue le catalogue, nous invitent à la mémoire et à la vigilance.
Sacrilège ! L'État, les religions et le sacré
Gallimard /Archives nationales
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 35 € ; 192 p.
ISBN: 9782073038456