Le roi de l'an mil. Il y a maintenant près d'un quart de siècle, Laurent Theis signait un remarquable Robert le Pieux (Perrin, 1999), repris récemment dans le recueil Rois des Francs (Bouquins, 2023). On croyait alors le dossier classé pour un bon bout de temps. C'était compter sans la sagacité d'Yves Sassier, professeur émérite à l'université Paris-Sorbonne. Tout en rendant hommage à ses prédécesseurs, le biographe d'Hugues Capet (Fayard, 1987) et Louis VII (Fayard, 1991) est allé remuer les vieilles chroniques. Il a eu raison. Son étude sur Robert le Pieux, qui fut, à la suite de son père Hugues Capet, un chef parmi d'autres dans un monde éclaté, mérite toute l'attention des passionnés de l'an mil. C'est donc autant le roi que son environnement qui apparaît dans ces pages. Et pourtant la matière est rarissime. Mais il y a toujours quelque chose de fascinant dans l'érudition : c'est la capacité à se saisir du moindre document pour faire bifurquer l'enquête. Car entre le personnage sage et dévot comme l'a dépeint son hagiographe Helgaud, moine de Fleury, et celui, incestueux et blasphémateur, présenté par ses contempteurs, pourquoi choisir ? Sans doute fut-il un peu des deux. Brillamment éduqué par son maître Gerbert qui devint pape, il dialoguait volontiers avec les évêques. Et pour s'accorder leurs bonnes grâces, il brûla quelques hérétiques.
Les chroniqueurs, puis les historiens, ont accusé deux de ses épouses, Berthe de Bourgogne puis Constance d'Arles, d'être responsables du climat de terreur dans le royaume. C'est aller vite en besogne, d'autant que Robert Le Pieux (972-1031) règne sur une « France sans État », un territoire grossièrement délimité par le triangle Amiens-Bourges-Reims et soumis à toutes les convoitises. Comme ses contemporains, il passa l'an mil sans vraiment s'en apercevoir.
Cet ouvrage passionnant montre toute la difficulté qu'il y a à comprendre une histoire sombre, entendez sans la clarté des archives, avec des documents à charge et à décharge, donc à prendre avec des pincettes. L'historien connaît ce tamisage critique des sources. Mais quand il y en a si peu, comment faire pour éviter la surinterprétation ? Pour le règne de Robert Le Pieux, on ne dispose que d'une soixantaine d'actes royaux, ce qui en fait malgré tout un des rares souverains francs un peu connu. Mais il faut renoncer à établir une chronologie ferme des faits et gestes. On doit accepter les lacunes, s'y engouffrer même quelquefois pour retrouver un contexte, une ambiance, quelque chose qui nous éclaire sur cette France si lointaine dont des bouts d'héritage sont parvenus jusqu'à nous. Yves Sassier montre que Robert le Pieux, malgré l'obscurité qui l'entoure, ne fait pas si mauvaise figure entre Louis le Débonnaire et Saint Louis. Accaparé à conserver son mince royaume face à la voracité des princes, il ne peut accomplir les missions de justice et de paix dédiées à sa fonction. Il ne lui reste que le prestige de son rang. C'est la seule chose qu'il a réussi à faire perdurer : la jeune dynastie capétienne.
Robert le Pieux
Fayard
Tirage: 1 200 ex.
Prix: 25 € ; 352 p.
ISBN: 9782213725673