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BD, Détournement et citation

BD, Détournement et citation

Tintin est le parfait exemple qui fait jurisprudence dans de nombreux cas de citation, reproduction ou contrefaçon. Mais d'un point de vue général, la bande dessinée est une exception bénéficiant d'un encadrement strict.

Le détournement et la citation sont des pratiques courantes en matière littéraire. Cependant, elles font l’objet d’un encadrement strict et ne sont pas toujours autorisées quand il s’agit de bandes-dessinées. Il est donc temps de faire un tour du champ de bataille.

Aux termes de l’article L. 112-1 du Code de la Propriété intellectuelle, le droit d’auteur protège toutes les œuvres de l’esprit, « quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. » À cet égard, l’article L. 112-2 7° et 8° dudit code précise que sont notamment considérées comme des œuvres de l’esprit les dessins et les œuvres graphiques et typographiques. Les juges vont plus loin et considèrent que les personnages de bandes-dessinées sont, en eux-mêmes, protégeables au titre du droit d’auteur. C’est ainsi que le tribunal de grande instance de Paris a jugé originales le nom et le dessin du personnage de Tarzan de sorte que la reproduction non-autorisée de ce dernier constituait un acte de contrefaçon.

Si le détournement semble être accepté via l’exception de parodie, ce n’est pas le cas pour la citation qui se voit confrontée à l’interprétation stricte de cette exception par les juges. En 1973, invité par Bernard Pivot dans son émission « Ouvrez les guillemets » et interpellé par l’animateur sur le racisme qui s’exprime dans Tintin au Congo, Hergé invoquait lui-même l’humour et la caricature. Quelques décennies plus tard, les ayants-droit du dessinateur sont bien moins tolérants lorsque certains auteurs tentent, eux aussi de manière humoristique, de faire vivre à Tintin d’autres aventures.

Pourtant, l’article L. 122-5 4°du Code de la Propriété intellectuelle (CPI) dispose que lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut pas interdire la parodie, le pastiche et la caricature. Mais le rire a ses limites et doit notamment tenir compte des lois du genre.  

L’examen de la jurisprudence permet de recenser essentiellement deux « lois du genre » particulièrement draconiennes.  D’une part, la parodie se doit être exempte de toute intention de nuire. Il s’agit d’un exercice difficile, si ce n’est absurde, quand le ressort même de ce type d’humour repose sur un certain degré de méchanceté.  D’autre part, le lecteur doit pouvoir identifier la parodie en tant que telle et donc être en mesure de la distinguer instantanément de l’œuvre première. Cela signifie qu’il ne doit pas y avoir de possibilité de confusion dans l’esprit du public. Le risque de confusion s’appréciant toujours par rapport à un consommateur moyen. Il ne faut donc pas considérer que des différences grossières aux yeux de professionnels du livre, puissent exclure une condamnation.   

Parodies malvenues

En quelques vingt années, une poignée de procès retentissants ont mis au pas certains trublions du monde de l’édition. Ils ont appris à leurs dépens que les parodies de best-sellers ou de collections célèbres figurent désormais en bonne place au rang des quelques livres interdits en France chaque année. 

Le 11 février 2011, la Cour d’appel de Paris s’était pourtant prononcée en faveur de l’exception de parodie et de Gordon Zola qui s’était attaqué lui-aussi à l’œuvre d’Hergé. Dans cette affaire, les éditions du Léopard démasqué, qui ont déjà commis des pastiches de Harry Potter ou du Da Vinci Code, publient depuis plusieurs années des livres signés Gordon Zola et en particulier Les Aventures de Saint-Tin et son ami Lou ; qui parodient les aventures de Tintin avec des titres tels que Le Crado pince fortLa Lotus bleueL’Affaire tourne au sale ou encore Le Vol des 714 porcineys

En première instance, les juges du Tribunal de grande instance d’Evry n’avaient pas retenu la contrefaçon appliquant ainsi l’exception de parodie. Toutefois, la société Arconsil, qui abrite les éditions du Léopard démasqué, a été condamnée à 40000 euros de dommages-intérêts pour parasitisme. Il y avait là une incohérence que les juges d’appel ont dû trancher, car, en pratique elle remettait en cause l’exception de parodie prévue expressément par le Code la propriété intellectuelle. La Cour d’appel de Paris, a donc finalement débouté la société Moulinsart, titulaire des droits d’Hergé, de ses demandes. Les juges ont estimé que l’exception de parodie devait s’appliquer notamment en raison des « nombreux calembours, l’exagération des traits de caractère et un style écrit qui privilégie les bons mots et les jeux de mots ».

Au niveau européen, la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est également prononcée quant à la notion de parodie dans un arrêt en date du 3 septembre 2014. Cette affaire concernait la reproduction sur des calendriers, par un membre d’un parti d’extrême droite Belge, des éléments constitutifs de la bande dessinée Bob et Bobette. Les supports litigieux étaient illustrés par un dessin imitant la couverture d’un des albums. Il représentait le personnage principal jetant des pièces à des personnes voilées et de couleur. Les ayants droit considéraient que cette imitation véhiculait un message discriminatoire. Dans ce contexte, les juridictions belges se sont adressées à la Cour de Justice de l’Union Européenne. La Cour a consacré l’exception de parodie comme notion autonome du droit de l’Union européenne. Elle a également rappelé la définition de la parodie « a pour caractéristiques essentielles, d’une part, d’évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie ».

Quelques jours après, la Cour de cassation a admis, le 10 septembre 2014, la parodie du célèbre commissaire Maigret adapté en bande-dessinée au motif que la lecture « montre que l’intention des auteurs n’a pas été d’offrir une version dégradée de l’interprétation qu’assumait avec application et sérieux » l’acteur incarnant le personnage à l’antenne.

La citation encadrée

Ainsi, si les tribunaux acceptent dans certains cas que la bande dessinée fasse l’objet de détournement via l’exception de parodie, ils rejettent l’application de l’exception de courte citation à la bande-dessinée. 

Dans Questions de littérature légale, Jean-Charles-Emmanuel Nodier écrivait déjà en 1812 « de tous les emprunts qu’on peut faire à un auteur, il n’y en a certainement point de plus excusable que la citation ». En théorie, rappelons que le droit de citation permet de s’exonérer de toute demande d’autorisation et a fortiori, du versement des droits d’auteur. 

En effet, l’article L. 122-5, 3° du CPI autorise, sous réserve de la mention du nom de l’auteur cité et de la source, « les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ». 

La Cour de cassation considère traditionnellement que le droit de citation ne peut s’exercer qu’en matière littéraire. Il est également nécessaire de respecter l’esprit de l’œuvre dont elle est tirée, mais également sa forme, etc. En pratique, cela revient à interdire de considérer le « détail » d’une œuvre graphique comme une simple citation. 

L’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle indique, sans plus de précisions, que la citation doit être « courte ». Il n’y a donc pas de nombre maximum de lignes à ne pas dépasser, de seuil précis et scientifiquement quantifiable au-delà duquel toute citation est interdite. La licéité des citations est donc appréciée au cas par cas par les juges. Cette brièveté s’apprécie par rapport à l’œuvre de départ mais aussi par rapport à l’œuvre d’arrivée. La première œuvre ne doit en aucun cas se substituer à la seconde. Il ne faut pas que le public de l’œuvre de départ puisse se dispenser de sa lecture après avoir parcouru la citation.

Enfin, la citation doit obligatoirement se cantonner à un contexte « critique, pédagogique scientifique ou d’information ». Récemment, la Cour d’appel de Versailles a refusé l’application de l’exception de courte citation pour la reproduction d’extraits de chansons de Jean-Ferrat au sein d’un ouvrage biographique. En effet, les juges ont considéré que les extraits n’étaient pas reproduits à des fins de critique, d’analyse ou de commentaire mais utilisés comme ornementations de l’œuvre litigieuse

Reproduction interdite
 
Le droit de citation est, comme toutes les exceptions juridiques, interprété restrictivement par les juges. C’est en ce sens qu’a statué la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 26 mai 2011 concernant la reproduction de l’œuvre d’Hergé. 
En l’espèce, l’auteur Robert Garcia avait publié un essai sur l’œuvre d’Hergé. Accusés de contrefaçon pour la reproduction de vignettes des œuvres originales, l’auteur, son éditeur et deux distributeurs avaient invoqué l’exception de courte citation. La Cour d’appel de Versailles avait relevé que les œuvres litigieuses constituaient simplement « un travail d’éclairage sur l’univers de Hergé ». Toutefois, la Cour de cassation a rejeté cette argumentation et jugé que « les vignettes litigieuses, individualisées, sont des œuvres graphiques, protégeables en elles-mêmes, et constituent, non des citations tirées d’une œuvres mais des reproductions intégrales de l’œuvre d’Hergé. ». En d’autres termes, la reproduction d’une vignette d’album de BD n’est pas une citation mais bien une reproduction intégrale qui nécessite l’autorisation des ayants-droit. Cet arrêt confirme l’analyse selon laquelle l’exception de courte citation tend à s’appliquer uniquement pour les écrits. 

Plus récemment, le dessinateur Pascal Somon, qui estimait rendre hommage à Hergé, a été condamné à dix mois de prison avec sursis et deux ans de mise à l’épreuve pour avoir contrefait les œuvres de Tintin. Le dessinateur de bande dessinée devra également verser 32000 euros de dommages-intérêts à la société Moulinsart.

Ces décisions de rejet de l’exception de courte citation s’inscrivent dans la lignée des décisions venant reconnaître la protection du personnage de bande-dessinée en tant que tel. « Tintin » a également fait parler de lui dans le cadre de ventes publiques. En effet, le législateur considère, depuis la loi du 27 mars 1997, que peuvent être librement exploitées « les reproductions intégrales ou partielles, d’œuvres d’art graphiques ou plastiques destinées à figurer dans le catalogue d’une vente judiciaire effectuée en France pour les exemplaires mis à la disposition du public avant la vente dans le seul but de décrire les œuvres d’art mises en vente ».

Le 21 mars 2003, le Tribunal de grande instance de Paris avait déjà estimé, à propos de plusieurs importantes vacations de l’œuvre d’Hergé, que « seules les ventes judiciaires, et non plus l’ensemble des ventes publiques sont exonérées du payement de droits. » Et encore, l’exception ne peut s’appliquer que si la vente est dirigée par un officier public ou ministériel et non par une société commerciale.

Cette vision très restrictive de l’exception a été réaffirmée par une autre décision « Tintin ». Le 14 mars 2007, la Cour d’appel de Paris a en effet donné raison à la société Moulinsart, au motif, là encore, que les enchères avaient lieu volontairement et non à la suite d’une décision de justice. Dans cette affaire, une société de ventes a été condamnée au versement de 20 000 euros de dommages-intérêts pour avoir reproduit intégralement des vignettes de l’œuvre d’Hergé.

L’exception de courte citation des bandes-dessinées est donc admise très limitativement pour les catalogues de ventes judiciaires dirigée par un officier public. En dehors de ce contexte bien précis, la jurisprudence refuse catégoriquement son application, les vignettes d’album étant considérées comme des œuvres graphiques à part entière.  
 
 
 

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