L'Afrique fantôme. C'est une jeune fille en fleur, de bonne famille. C'est Karen Blixen arrivant au Kenya. C'est Constance, 17 ans, qui dans le cadre d'un échange scolaire, découvre Yaoundé et le Cameroun. Avec l'impression étrange chez cette adolescente timide, effacée, presque trop sérieuse, d'être enfin rentrée chez elle. « Les professeurs parlaient d'une expérience unique, d'une chance. Je les écoutais sans comprendre mais je me répétais ces noms : Paris, Yaoundé, Bikop. J'aimais leurs sonorités. C'était le début d'une histoire ou une énigme. » À l'aéroport, un jeune homme, un étudiant, Jean-Martial attend Constance. Il doit lui servir de chaperon pour son premier jour dans la ville africaine. Sa première nuit. Les deux n'en resteront pas là. Histoire d'un amour. Jean-Martial va lui faire connaître sa famille, son pays, ses rêves et tout autant ses déchirements. La vie au Cameroun n'est pas un long fleuve tranquille. Les aspirations à la liberté sont réprimées dans le sang, le régime dévore ses enfants et le peuple est impuissant. Tout de même, les deux amants vont s'inventer, presque naturellement, un espace à eux, une chanson commune, et chaque été désormais Constance reviendra au Cameroun, retrouvera Jean-Martial. Et puis la vie passera comme elle le fait parfois, sans crier gare, séparant ceux qui s'aiment de leurs souvenirs. D'eux-mêmes. Bien des années plus tard, Constance, devenue écrivaine, reviendra à Yaoundé et Douala pour présenter son dernier livre, histoire d'une femme évadée dans la nuit africaine. Tout ne sera plus alors que traces. Celles de Jean-Martial d'abord, disparu lui aussi. Et celles de la femme du roman. Pour Constance, accompagnée d'une amie camerounaise et peut-être d'un nouvel amour, le temps est retrouvé. Elle accueille avec le même plaisir, la même ferveur, ce qui lui arrive et ce qu'elle attend.
Constance, c'est elle, bien sûr, Anne- Sophie Stefanini. Dans ce quatrième roman comme dans le précédent, Cette inconnue (Gallimard, 2020), dont celui-ci se fait largement l'écho, son Afrique, nocturne, indécise, a des airs étrangement modianesques. L'autrice est en tout cas ici au plus près de sa vérité de femme et d'écrivaine. Elle se laisse langoureusement porter par le temps perdu, le temps passé, le temps du retour. C'est un chant d'exil et une ode à la perte. Se perdre bien entendu, pour mieux se retrouver. Si c'est une lettre d'amour, une bouteille à la mer − et c'en est sans doute une −, c'est à la façon du Frédéric Mitterrand de Lettres d'amour en Somalie. Un lamento puissant, une façon d'être au monde dans l'infini chagrin et la beauté des visages et des lieux passés de l'autre côté d'un réel qui sans cesse s'échappe. On sait depuis Michel Leiris que l'Afrique est fantôme. Les spectres d'Anne-Sophie Stefanini viennent, nantis de nuit et d'oubli, magnifiquement nous le confirmer.
Une femme a disparu
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Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20 € ; 240 p.
ISBN: 9782234096370