L'auteur de Petit Piment, publié au Seuil en 2015, résumait en projet littéraire le tableau qu'il venait de brosser, avec un humour compassionnel et emprunt d'un vécu certain, sur les inquiétudes des libraires confrontés à une salle presque vide quelques minutes avant le démarrage d'une séance de signatures dédiée "à un écrivain qu'ils ont fait venir de loin".
"Librairies par terre"
Devant un auditoire venu pour le coup du monde entier et échangeant jusque là en anglais, ce professeur de littérature francophone à l'université de Californie a choisi de s'exprimer en français, "parce que si tout le monde parle anglais, les traducteurs n'auront plus de travail", et aussi parce que c'est sa langue de création littéraire, un "espace de liberté" qu'il manipule comme il l'entend.
Toujours en puisant dans son expérience, il s'est aussi employé à montrer que la situation de la librairie n'est peut-être pas si mauvaise, ou alors qu'elle l'est depuis si longtemps qu'elle en devient relative. "Quand je suis arrivé en France dans les années 70, les libraires se plaignaient déjà", se souvient celui qui a lu ses premiers livres grâce aux "librairies par terre", petits étals sur les trottoirs de Pointe-Noire, alimentés par les romans que les vacanciers jetaient avant de repartir. "Et les rares fois où j'ai fait des signatures en Afrique, il a souvent fallu que j'achète mes livres pour les donner à ceux qui venaient voir le "frère", mais le libraire me faisait un prix", note l'auteur, révélé par Verre cassé, et couronné en 2006 par le prix Renaudot (entre autres nombreuses distinctions) pour Mémoire d'un porc épic.
"Les meilleures choses" pour la librairie
Il a de fait aussi été questions de signatures, entre autres animations, dans cette conférence sur les "solutions innovantes et créatives", avec des intervenants invités à expliquer concrètement "les meilleures choses" qu'ils avaient faites dans leurs librairies. Susanne König, distinguée l'an dernier du prix des libraires par le bureau allemand du livre, a témoigné du renouveau des indépendants aux Etats-Unis : elle gère maintenant deux grands points de vente à New York, dans le quartier de Brooklyn, qu'elle a transformés en lieux d'animation permanente, organisant une convivialité qui s'apparente à celle d'un café, avec une programmation digne d'un théâtre.
Très loin de cette effervescence, Kari Artig, libraire dans l'archipel des Féroé, entre l'Islande et l'Ecosse, ancien pêcheur et charpentier, organise quant à lui un concours d'écriture avec ses trois confrères, en promettant un vrai contrat de publication à la clé. Le lauréat sera sélectionné par un jury de lecteurs, un moyen de créer du lien dans cette communauté de 60 000 habitants, dispersés sur près d'une vingtaine d'îles.
Plus proche, Pierre Coursière, P-DG du Furet du Nord, vient de créer un cercle de 20 lecteurs sélectionnés parmi ses clients les plus fidèles, qui en ont fait la demande. "Ils sont impliqués dans le fonctionnement de la librairie, et notamment dans le choix des livres. Ils sont tout particulièrement sollicités à la rentrée littéraire, pour établir la sélection que nous présentons dans un catalogue. Ils apprécient beaucoup de recevoir les services de presse en avance, comme les libraires, et produisent des avis que nous insérons dans ce catalogue, ou des vidéos que nous diffusons", explique-t-il.