24 octobre > Histoire France

Restaurant A la mère Catherine, place du Tertre, dans le 18e à Paris, en juin 1940.- Photo TESCHENDORF

Les Allemands, c’est bien connu, ne laissent jamais rien au hasard. De là à imaginer que, en préparation de l’occupation de Paris, ils mobiliseraient une partie de leurs troupes afin de constituer la rédaction du Wegleiter, le «compagnon de route» du soldat de la Wehrmacht lâché dans le « gai Paris »… Une histoire incroyable mais vraie, ainsi qu’on l’apprend dans Wohin in Paris ?, anthologie malicieuse, riche en fac-similés, présentée par notre confrère à Livres Hebdo Laurent Lemire. La collection complète, la seule existante, dormant dans les tours de la BNF.

Der DeutscheWegleiter, quinzomadaire installé 92, Champs-Elysées, juste à côté de la Propagandastaffel, parut du 15 juillet 1940 au 12 août 1944, soit 102 livraisons. Le numéro 103, du 26 août 1944, n’a pu sortir : la veille, le général von Choltitz avait capitulé, gare Montparnasse ! A ses débuts, le journal était modeste, mais il compta ensuite jusqu’à 100 pages : rédactionnel écrit par des soldats allemands, le plus souvent des sous-officiers, la plupart anonymes, et aussi publicité en abondance. Le Tout-Paris collabo (restaurants, théâtres, cinémas, librairies «spécialisées»…) s’étant vite accommodé de la situation. On voit ainsi la Librairie Rive Gauche, située place de la Sorbonne, se proclamer fièrement « die Heimstätte des deutschen Buches in Paris » (le foyer du livre allemand à Paris), Schmit et Cie, décorateur du faubourg Saint-Antoine, accrocher de belles croix gammées dans un hall qui fait sa fierté, la Rôtisserie de la reine Pédauque insister sur la qualité de sa bière de Dortmund, ou encore le Palais de Chaillot présenter son programme de concerts avec le soutien des disques Die Stimme seines Herrn (La Voix de son maître).

Même si, dès le départ, le ton est donné par Heinz Lorentz en personne, le responsable du service de presse d’Hitler, incitant les soldats allemands qui auraient été mal reçus par les autochtones à les dénoncer à la rédaction, le Wegleiter se veut avant tout pratique : tout y est fait pour simplifier la vie du troufion, notamment dans le métro ; léger - spectacles et restaurants occupent l’essentiel du sommaire -, mais aussi culturel. On peut y lire d’excellentes critiques de théâtre, sur La reine morte de Montherlant (1942), Les mouches (1943) et Huis clos (1944) de Sartre - cette dernière très élogieuse, en dépit d’un certain «malaise» -, ou encore, plus mitigée, sur Le soulier de satin de Claudel (1943) : « un spectacle de cinq heures [où] il y a si peu d’énergie, si peu d’action ». Un autre critique de l’époque, français celui-là, avait d’ailleurs ironisé : «Heureusement qu’il n’y a pas la paire !» On y trouve aussi nombre de saynètes de la vie quotidienne, chez les bouquinistes, dans les loges des concierges, aux carrefours où le « flic » règle la circulation. Des pages historiques (et de propagande) célébrant le retour des cendres de l’Aiglon, rendues à la France par Hitler en 1940. Ou encore des papiers sur les stars de l’époque, bien actives, Guitry, Mistinguett, Edwige Feuillère ou Maurice Chevalier.

Ce qui est stupéfiant, à tourner les pages du Weg-leiter, c’est qu’on en vient presque à oublier la guerre. Heureusement, en février 1944, une exposition sur la Waffen-SS, aux Champs-Elysées, invitant les Français à s’engager dans la LVF, remet les pendules à l’heure. Ce livre, façon originale de revisiter une page sombre de notre histoire, est une vraie découverte. J.-C. P.

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