Littérature/France 18 sept. Christian Bobin

Depuis 1991 et Le très-bas (« L'un et l'autre », Gallimard), succès considérable qui a popularisé son œuvre, il est de bon ton, pour une partie de la critique, de snober Christian Bobin. Lequel n'en a cure, et continue de publier, à un rythme soutenu et chez plusieurs éditeurs, de beaux livres, en général assez brefs, à la fois cohérents avec sa démarche, et différents.

Ce travail méritait une étude panoramique, une mise en perspective, une analyse, ainsi que des témoignages démontrant que, bien que solitaire, vivant en retrait du monde et de l'agitation parisienne dans sa maison du Creusot, Christian Bobin est tout sauf isolé. Tant qu'il y aura un oiseau pour chanter dans son jardin, du soleil pour éclairer sa fenêtre, un livre à lire, une cantate de Bach à écouter et une ombre chère - celle de son père René, par exemple, omniprésent dans tous ses derniers livres, comme Ghislaine, l'amie trop tôt disparue - avec qui dialoguer, sans parler de l'écriture, son ascèse quotidienne, notre homme sera heureux. Claire Tiévant et Lydie Dattas se sont attelées à la tâche, codirigeant un copieux Cahier de L'Herne riche en contributions (études, hommages), ainsi qu'en inédits de Bobin lui-même. A L'Herne également paraît L'amour des fantômes, un petit recueil personnel où l'écrivain revient encore et toujours à son Creusot d'enfance, non sans nostalgie, et répulsion pour le tout technologique que la prétendue « modernité » nous impose. Et puis, parmi ses « fantômes », le père, employé chez Schneider, mort en 1999. Depuis, le fils n'écrit plus ses textes qu'à la main.

Dans son livre précédent, La nuit du cœur (Gallimard, 2018), Christian Bobin racontait la nuit qu'il avait passée, en février de cette même année, dans une chambre d'hôtel face à l'abbaye romane de Conques, dans l'Aveyron, ornée de vitraux par le grand Pierre Soulages, lesquels avaient inspiré à l'écrivain une superbe et rayonnante méditation spirituelle. Il se trouve que Soulages et Bobin sont amis, et c'est cette relation qui nourrit son nouvel ouvrage, Pierre, avec cette virgule comme une apostrophe en mineur, qui annonce l'adresse, mais aussi amorce le texte à venir. « Bach est plus que musicien, Soulages est plus que peintre », déclare Bobin dès l'abord, qui invite son lecteur à un grand voyage en « outrenoir », ce territoire que le peintre explore depuis des décennies, sans en avoir jamais fait le tour. Le noir, grâce à Soulages, est devenu une couleur. Et quelle couleur ! Il suffit de visiter le musée Fabre à Montpellier, ou sa fondation à Rodez, pour s'en convaincre.

Nuit pour nuit, Christian Bobin évoque, dans ce livre singulier, celle du 24 au 25 décembre 2018 qui, outre Noël, est celle de l'anniversaire de Pierre. Au débotté, Christian s'embarque en train, depuis Le Creusot jusqu'à Sète, afin de porter à son ami et à son épouse Colette deux exemplaires de La nuit du cœur. Le récit se déroule et digresse au fil des kilomètres, des lectures qui les accompagnent, jusqu'au moment où l'on parvient devant le portail de la maison du peintre, sur les hauteurs de Sète, non loin du Cimetière marin - on aimerait savoir, au passage, pourquoi Bobin déteste autant Valéry -, devant lequel il demeure, sous la neige, quelques minutes à attendre qu'on lui ouvre. Une occasion de convoquer quelques morts, de parler de Dieu (« s'il existe », ajoute toujours Bobin), sur le seuil de cet « outremonde » où Soulages habite. « Ce voyage est ma thèse de philosophie », dit-il à la dernière étape. On espère qu'ensuite la porte s'est ouverte. Et peut-être saura-t-on, dans un livre à venir, ce qu'il y a derrière.

Christian Bobin
Pierre,
Gallimard
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 14 euros ; 104 p.
ISBN: 9782072866586
Sous la direction de Lydie Dattas et Claire Tiévant
Christian Bobin
L’Herne
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 33 euros ; 288 p.
ISBN: 9791031902234
Christian Bobin
L'amour des fantômes
L’Herne
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 8 euros ; 80 p.
ISBN: 9791031902517

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