Hommage

Vincent Ollivier : « Les livres étaient les éternels compagnons d’Henri Leclerc »

Henri Leclerc s'est éteint le 31 août 2024 - Photo Alain Jocard AFP

Vincent Ollivier : « Les livres étaient les éternels compagnons d’Henri Leclerc »

Avocat pénaliste et chroniqueur juridique à Livres Hebdo, Vincent Ollivier rend hommage au grand avocat Henri Leclerc, disparu le 31 août.

Par Vincent Ollivier
Créé le 02.09.2024 à 10h18 ,
Mis à jour le 06.09.2024 à 10h49

Je ne le connaissais pas vraiment. Je l’avais rencontré il y a une vingtaine d’années et je le revoyais environ une fois par an, pour dîner, avec les autres membres du club auquel nous appartenions.

Comme nous y acceptions une nouvelle personne par an, dans ce club, chaque année, ou presque, nous la présentions à Henri, notre Henri, comme nous l’appelions. L’impétrant s’avançait doucement vers lui, légèrement tremblant de cette rencontre avec la statue du commandeur, dont la voix forcément extraordinaire et la sagacité évidemment hors du commun allaient, cela ne faisait aucun doute, le faire rentrer sous terre, là où il appartenait, lui qui osait fouler le même sol, respirer le même air que celui du grand homme.

Notre Henri lui faisait alors un grand sourire et, un verre à la main, avec cette lueur facétieuse dans l’œil qu’il avait quand il parlait, lui souhaitait la bienvenue avant de s’enquérir du menu. Le nouveau se trouvait soudain allégé, rassuré sur sa légitimité par la bonhomie avec laquelle notre Henri l’avait accueilli, et, comme souvent la confiance précède la réussite, il ressortait de cette rencontre meilleur avocat qu’il y était entré.

Inlassable défenseur des libertés

Je ne le connaissais pas vraiment. Je l’écoutais, comme les autres, lorsqu’à la demande générale, il prenait la parole à la fin du repas, la respiration basse, l’oreille dressée. Il nous parlait tout à la fois d’un temps que nous ne pouvions pas connaître et de celui dans lequel nous vivions et, pour chacun d’entre eux, il avait la même capacité à tisser devant nous les fils d’une histoire passionnante qui nous concernait tous.

C’est de cette curiosité et de cette humanité hors du commun qui trouvaient leur chemin vers l’oreille de tous ceux à qui il s’adressait que je me souviens le mieux. Cela faisait de notre Henri quelqu’un d’étonnant, dont on oubliait l’âge, quelqu’un auquel ne s’attachait pas cette révérence distraite que les jeunes accordent parfois aux vieilles statues.

Je ne le connaissais pas vraiment. Bien sûr, je connaissais sa vie, sa défense inlassable des libertés, son courage lorsqu’il fallait être le dernier à se tenir aux côtés de ceux dont la société voulait la disparition, ses combats pour que la liberté d’expression ne devienne pas l’un de ces innombrables principes que l’on n’invoque que pour mieux les bafouer, sa guerre contre l’injustice, l’intolérance, le racisme et sa façon de dire les choses les plus essentielles sans avoir l’air d’y toucher vraiment, d’amener ceux qui l’écoutaient à se trouver enveloppés par le récit de notre Henri, sans qu’ils aient eu seulement l’impression de le voir venir.

Je savais aussi l’homme qu’il était devant la foule hurlante et devant la justice dans ce qu’elle peut avoir de hideux. J’ai vu les hommes dont il a jusqu’au bout pris le parti, les faibles, les sans-grade, ceux qu’on voudrait pouvoir oublier et je crois que cela dit sur notre Henri bien plus que je ne saurais le faire.

« Il y avait pour lui peu de métiers qui valaient celui d’éditeur »

Je ne le connaissais pas vraiment. Je savais cependant, parce que la conversation avait un jour dérivé sur cela, qu’il y avait pour lui peu de métiers qui valaient celui d’éditeur, que pour lui, porter la pensée d’un auteur, lui permettre de mettre au monde son idée et le défendre, bec et ongles, c’était presque aussi admirable que de défendre un homme.

C’est certainement pour cela qu’il en a défendu plus que l’on ne pourrait nommer, qu’il a été sa vie durant aux côtés de ceux que le pouvoir voulait faire taire, de ceux que les bigots voulaient interdire, de ceux dont les frustrés, les susceptibles, les intolérants de tous poils ne supportaient pas la liberté, la joie ou l’humour, qu’il a ferraillé sa vie durant devant les moulins de la 17e chambre, à récuser les intemporelles accusations de diffamation et d’injure que l’on porte contre ceux dont l’on n’apprécie pas les idées.

« Henri Leclerc savait que, sans les passeurs, les idées restent là où elles sont »

C’est parce qu’il savait que, sans les passeurs, les idées restent là où elles sont, qu’elles n’essaiment pas et ne portent aucun fruit qu’il défendait ceux qui s’étaient donné pour mission de les faire rayonner aussi loin et aussi longtemps que possible. Pour notre Henri, l’Homme était premier en toutes choses. C’était lui qui rendait tout possible et c’était lui qu’il fallait défendre.

Je ne le connaissais pas vraiment. Je sais pourtant, parce qu’il nous l’avait dit, qu’il se désolait de voir sa vue baisser au point qu’elle lui interdisait presque la lecture, que les livres étaient ses éternels compagnons et qu’une vie sans eux lui semblait difficilement concevable.

Je ne le connaissais pas vraiment mais je sais que, ce soir, j’aurais voulu que ses yeux lui durent plus longtemps.

Vincent Ollivier

Olivier Dion - Vincent Ollivier

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