Après une longue errance, l'Amérique est devenue sa terre d'adoption. C'est également une source d'inspiration que Salman Rushdie scrute avec ironie. Un pays dont il trace un portrait à sa manière, comme déjà dans son précédent roman La maison Golden, où le rêve américain et la famille en prenaient un coup. Il poursuit ici ces thèmes, en s'appropriant le mythe de Don Quichotte imaginé par Cervantès. Dans cette nouvelle satire sociopolitique, le chevalier se nomme Ismaël Smile. Ce directeur des ventes d'une entreprise pharmaceutique semble sculpté par Giacometti. Ses traits ne se détendent que devant le petit écran, où il observe un monde à cran. Seule une figure en émerge, telle une sirène irrésistible : Miss Salma R, clin d'œil à l'auteur lui-même. Se rêvant en chevalier servant, le protagoniste désire sauver cette femme bipolaire. Elle « méditait sur le vide de son existence et cachait ses secrets derrière des portes et des masques de comédie ». Sa carrière télévisée ne fait que renforcer cet aspect de sa personnalité. « Les humains étaient des énigmes pour les autres comme pour eux-mêmes. »

Lorsqu'Ismaël Smile revêt son identité de Quichotte, tout lui est permis, y compris partir à la rencontre de sa bien-aimée. « Les héros, les superhéros et même les antihéros sont en marge, à contre-courant, suivent leur propre rythme. » Il entame un road-movie avec son fils imaginaire, Sancho, un personnage d'une grande pureté, qui a du mal à trouver sa place. Le roman livre une vision réaliste de cette terre raciste, violente et injuste. En cette ère de fake news, chacun s'interroge sur la vérité. D'autres préfèrent la fuir grâce à leur imaginaire. C'est le cas de Quichotte et Sancho, qui découvrent que « toute quête se déroule à la fois dans la sphère du réel et dans la sphère du symbolique ». À travers leurs regards naïfs, ils décrivent l'Amérique d'un Trump jamais nommé. « On était à l'ère du Tout-Peut-Arriver. Il n'était plus possible de prévoir le temps, ni la probabilité d'une guerre ou un résultat d'élections. » Le coronavirus en est la preuve. Il donne involontairement une tonalité étonnante au roman, qui se veut aussi une métaphore de l'écriture via une habile mise en abyme. Une aventure prémonitoire sur la fin du monde et ses leçons d'espoir. « La vérité ce sont tous les obstacles placés devant nous pour que nous les surmontions. »

Un Amérindien dans la ville

La jeunesse tumultueuse d'un jeune Indien Cri, par le Canadien Joshua Whitehead

Joshua Whithead- Photo OSHUA WHITEHEAD

Si l'on s'en tient à l'intrigue, elle est relativement simple : c'est l'histoire, sous forme autobiographique, d'un jeune Indien Cri, né dans une réserve, à Peguis. Il a vécu une enfance épouvantable entre alcoolisme, violence et misère, a perdu son père alcoolo, son beau-père d'une cirrhose et sa « kokum », sa grand-mère chérie chez qui il vivait. Il est donc « monté » à la ville, en l'occurrence Winnipeg, dépeinte comme « la plus raciste du Canada », afin de vivre sa liberté, en particulier sexuelle. Jonny se définit comme « bispirituel », c'est-à-dire gay, mais se sentant à la fois masculin et féminin. Il vit de ses charmes, soit par Internet soit en réel (mais c'est plus cher !). Le seul qu'il aime vraiment, c'est Tias, son ami d'enfance. Ils font l'amour, mais Jonny est plutôt bi, il est le « chum » de Jordan qu'il a mise enceinte et pour qui il va se ranger et se mettre à travailler. C'est la fin d'une jeunesse tumultueuse, et l'on ne sait trop ce qu'il adviendra de Jonny.

Ce qu'il y a de plus intéressant dans ce premier roman, pour nous Français, c'est le dépaysement qu'il crée : canadien, Jonny raisonne comme un Américain, avec des problématiques, notamment d'origines et de genre, qui sont là-bas d'une actualité brûlante. Et puis il y a cette langue, rendue par la traductrice en québécois : « crisse », « pantoute », « ciboire », et « bannique » à tous les repas.

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