Cette aventure commence un jour, pour Shoba Narayan, la narratrice, dans l'ascenseur de l'immeuble moderne chic de Bangalore où elle vient d'emménager avec son mari et leurs deux filles, par sa rencontre avec une vache. Les voisins du dessus avaient invité l'animal, sacré pour les hindous, lié à Krishna et emblème du pays, à honorer et bénir leur crémaillère. A son tour, la jeune femme, brahmane tamoule née à Madras mais qui rentre de vingt ans passés aux Etats-Unis, cède à la tradition, mettant ainsi le doigt dans un engrenage très indien, lequel la conduira à faire l'acquisition, puis la donation d'une vache à sa vachère et laitière, l'envahissante et touchante Sarala, qui est un peu l'héroïne du roman. C'est d'ailleurs après avoir consacré plusieurs articles et reportages aux vaches de Bangalore que Shoba Narayan, journaliste et professeure, s'est lancée dans l'écriture de ce livre.
La laitière de Bangalore, c'est le récit cocasse de la réinstallation réussie d'une famille indienne de la diaspora au sein de Bharat Mata (Mother India, symbolisée par... une vache). En dépit de quelques incidents et avanies, tout se passe bien. Shoba et son époux Ram, un banquier d'affaires particulièrement zen face aux excentricités de sa femme, se réaccoutument, d'autant que leurs familles, leurs vieux parents compris, vivent dans le sud de l'Inde, à Bangalore (Karnataka) ou au Kerala. Pour les 80 ans de leurs deux pères, on leur offrira une vache, confiée aux prêtres d'un temple.
C'est aussi un portrait vécu de l'Inde d'aujourd'hui, à la fois dans une grande ville (mais une enclave militaire préservée du gigantisme de la mégalopole de 12 millions d'habitants), et à la campagne. Là où vivent les vaches, « indigènes » ou importées, comme ces fameuses Holstein Friesian qui font la fierté de leurs propriétaires. Elles donnent plus de lait, et du meilleur. Sans aucun cliché ni misérabilisme, avec humour, et sans esquiver quelques sujets politiques qui fâchent, le système des quatre castes hindoues, par exemple, qui est en train, dit-elle, de devenir « poreux », du moins dans certains milieux bourgeois urbains, Shoba Narayan dresse le tableau d'un pays en train d'évoluer à son rythme et tout en conservant ses fondamentaux. Ainsi après que la famille Narayan aura acquis et donné à Sarala la vache Ananta Lakshmi (« Bienheureuse Lakshmi »), Selva, le dernier fils de la laitière, juste marié, abandonnera le métier de sa mère pour devenir chauffeur chez Uber. « The times they are changing », même en Inde.
La laitière de Bangalore - traduit de l'anglais (Inde) par Johanna Blayac
Mercure de France
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 23,80 euros ; 304 p.
ISBN: 9782715253964