« L'histoire n'est pas le passé tel qu'il fut réellement. C'est la forme que nous lui donnons. » Bernhard Schlink excelle en la matière, en se glissant dans la peau d'Olga, une villageoise née en Poméranie, vers la fin du XIXe siècle. La petite orpheline grandit dans le monde étriqué de sa grand-mère. Elle, qui tenait déjà debout à un an, a du mal à affronter cette femme germanique qui veut gommer sa part slave.
Silencieuse et solitaire, Olga se replit dans les livres. Jusqu'au jour où elle rencontre Herbert. Contrairement à elle, il vient d'un milieu ultra privilégié. De ceux qui « n'ont jamais eu à subir ni à craindre rien de fâcheux ». Leur différence de classe ne les empêche pas de grandir ensemble. Au fil des années, leur lien d'amitié évolue en un amour soudé. Il devra toutefois traverser de nombreuses épreuves.
D'abord, la famille d'Herbert s'oppose fermement à leur mariage. Bannie, Olga choisit d'enseigner la tolérance à des enfants. Mais tels des Roméo et Juliette allemands, les héros vont se retrouver et s'aimer davantage. « C'est l'amour qui décide. » Ils ne sont hélas pas au bout de leurs peines. Herbert a été élevé dans le nationalisme pur et dur. Il rêve aussi d'aventures. Aussi allie-t-il ces deux passions en rejoignant un régiment, situé dans une colonie africaine. « Il décidait de devenir un sur-homme, de rendre l'Allemagne grande et de devenir grand avec elle », quitte à contribuer au massacre des Herero.
Pendant ce temps, Olga l'attend patiemment. « La mélodie de sa vie était son amour pour Herbert et sa résistance à Herbert. En amour, on n'est pas à la disposition l'un de l'autre, on est un cadeau. » Une leçon d'autant plus indispensable, que le héros repart découvrir le monde. Son ultime mission ? Une expédition en Arctique, histoire de « savoir si l'infini a un sens pour les humains. Sans eux, il n'y a rien. » Olga se raccroche dès lors à un petit garçon, qu'elle élève en lui transmettant des valeurs essentielles. Mais lui aussi sera happé par la Patrie.
A travers ces personnages, Schlink narre l'Histoire de l'Allemagne essuyant différents revers avant de « reprendre dans le monde la place qui lui revenait. » Mais en attendant, que de chamboulements géographiques et intimes pour Olga. « La vie était une succession de pertes... Ce qui t'est donné, tu ne peux en profiter que si tu l'acceptes. » Cette femme courageuse retombe toujours sur ses pieds, mais elle semble parfois gagnée par la solitude. Devenue couturière, elle s'intègre à une nouvelle famille.
C'est l'enfant chéri de celle-ci, Ferdinand, qui se révèle le narrateur du roman. A lui de démêler le véritable récit d'Olga, cette figure inspirante traversant un siècle de péripéties. Une personnalité atypique faisant constamment preuve de résistance face aux torrents de l'existence.
Bernhard Schlink demeure éternellement l'auteur du Liseur, traduit en une trentaine de langues. Toujours aussi économe de mots et de sentiments, il les suscite justement en gardant une certaine distance.
Ce style mélancolique, qu'il distille de livre en livre, lui vient sans doute de sa carrière juridique. Il a d'ailleurs confié à nos confrères de L'Express : « La littérature m'apporte le monde, le droit m'apporte la structure. Le droit donne des réponses. La littérature, comme la vie, en apporte parfois... » Ici, on en découvre quelques-unes, mais au final, chacun garde sa part de mystère.
Olga - Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary
Gallimard
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 19 euros ; 272 p.
ISBN: 9782072799808