Essai/France 5 février Ronen Bergman

2 700 assassinats ciblés en 70 ans. C'est le palmarès du Mossad, du Shin Bet (l'agence de sécurité) et des services secrets israéliens selon Ronen Bergman. « Depuis la Seconde Guerre mondiale, Israël a assassiné de la sorte plus de monde que n'importe quelle autre nation occidentale. » La monumentale enquête de ce journaliste a provoqué un tollé dans son pays, mais elle a connu un succès retentissant avec déjà treize traductions. Cet historien - il est diplômé de Cambridge -, avocat et spécialiste du renseignement pour divers journaux révèle tous les coups tordus réalisés par ces espions au nom de la « sécurité d'État » De 1946, avant même la fondation de l'État d'Israël aux récentes années, il déroule une succession d'affaires plus spectaculaires les unes que les autres. Certaines sont connues comme l'enlèvement d'Eichmann à Buenos Aires en 1960, d'autres beaucoup moins. Ainsi on apprend que deux chasseurs F15 étaient prêts à détruire un avion-cargo dans lequel devait se trouver Yasser Arafat, le leader de l'OLP, que le gouvernement israélien avait décidé d'éliminer. Le pilote attend l'ordre de lancer son missile, pendant que le Mossad vérifie l'information. Finalement, il s'agit du frère d'Arafat, Fathi, médecin du Croissant Rouge palestinien avec trente enfants blessés. Tout le livre se situe sur cette corde raide, à l'aune de la sentence d'un chef du Mossad : « L'erreur d'identification d'une cible n'est pas un échec. C'est une méprise. » C'est assez compréhensible quand l'assassinat devient un élément essentiel de la politique étrangère. Ronen Bergman raconte qu'à cinq reprises des chasseurs israéliens avaient été appelés pour détruire des avions de lignes transportant Arafat... Ils n'eurent pas l'autorisation du Premier ministre.

« Face à celui qui vient te tuer, lève-toi et tue le premier. » Cette citation du Talmud régit ces actions spectaculaires qui renvoient un Jason Bourne au rang des timorés. Il y a même une sorte de fierté chez ces soldats à défendre de cette façon leur territoire. « Ceux que j'ai tués ne me posent aucun problème. Ils méritaient une balle dans la poitrine et deux dans la tête, jusqu'au dernier. » Golda Meir affirme elle aussi son intransigeance. « Ceux qui font souffrir les Juifs font ensuite souffrir d'autres peuples ; c'est ce qui s'est passé avec Hitler, et c'est aussi ce qui se passe avec les terroristes arabes. » Ariel Sharon se montre plus radical. « Allez-y. Tuez-les tous. » La lutte contre les Palestiniens occupe de nombreux chapitres. Dans cette guerre le Mossad va même jusqu'à recruter Skorzeny, un criminel nazi notoire, pour les aider dans la lutte contre Nasser que l'État hébreu voit comme un nouvel Hitler.

Ronen Bergman a eu accès à de nombreux dossiers encore classifiés et surtout il s'est entretenu avec beaucoup de témoins dont Meir Dagan, exécuteur de légende, qui a dirigé le Mossad de 2002 à 2011. Dentifrice empoisonné, téléphones qui explosent, drones, les commandos ne reculent devant rien pour protéger l'État hébreu contre ses ennemis. Les ingénieurs occidentaux travaillant à la fabrication d'une bombe atomique pour l'Irak sont éliminés dans la rue, à l'hôtel, ou dans leur voiture. Le livre est imposant mais se dévore comme une série, une adaptation est d'ailleurs en cours par la chaîne Home Box-Office (HBO). On reste tout de même stupéfié par la violence de cette chronique qui se confond avec l'histoire d'Israël. Comme le dit John Le Carré, « cette lecture est saisissante quel que soit votre point de vue ».

Ronen Bergman
Lève-toi et tue le premier : l'histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël - traduit de l'anglais par Johan-Frédérik Hel-Guedj
Grasset
Tirage: 11 000 ex.
Prix: 29 euros ; 944 p.
ISBN: 9782246821397

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