Quelques mois après la saisine en juin 2021 du médiateur du livre par le Syndicat national de l’édition pour aborder les sujets de l’édition scientifique, universitaire et de recherche, suivie de la création en décembre 2021 d’un observatoire par les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de la Culture, le médiateur du livre Jean-Philippe Mochon vient de rendre un projet d’avis de 16 recommandations portant sur l’avenir de l’édition scientifique face à l’open data, ou science ouverte.
« L’idée majeure qui inspire ce projet d’avis est que le numérique et la science ouverte appellent une réinvention de la fonction éditoriale qui rend encore plus précieux le rôle que jouent les éditeurs, publics et privés, dans la publication des travaux de la science », énonce le médiateur du livre dans un communiqué.
Jean-Philippe Mochon fait notamment le constat d’un secteur de l’édition publique traditionnellement très fragmenté mais en pleine mutation, avec une forte professionnalisation de la fonction éditoriale et l’affirmation, avec OpenEdition, d’un acteur central de la publication des sciences humaines et sociales (SHS) en accès ouvert.
La photographie est différente s’agissant de l’édition privée, où les grands groupes internationaux jouent un rôle central dans le domaine scientifique, technique et médical (STM), alors que la France conserve un tissu d’acteurs « très divers et actifs » dans le domaine des sciences humaines et sociales (SHS). L’avis insiste en particulier sur le rôle « structurant » du portail Cairn.info, qui rassemble une large part de l’offre numérique.
S’il reconnaît que la politique de science ouverte s’est, « en France comme ailleurs, légitimement définie dans la réponse aux positions et aux pratiques des grands éditeurs internationaux du domaine scientifique, technique et médical », le médiateur estime ainsi qu’elle ne peut pas faire l’économie d’une approche particulière du domaine des sciences humaines et sociales, « où la France possède un riche tissu d’éditeurs, privés comme publics, dont la diversité est une garantie de la vitalité du débat d’idées et du pluralisme démocratique. »
Plan national pour la science ouverte
Pour défendre un secteur qui demeure « fragile, en pleine mutation et en besoin de visibilité », l’avis s’appuie notamment sur le Plan national pour la science ouverte qui défend depuis 2018 des orientations « très éloignées » de celles promues par les grands groupes internationaux, parmi lesquelles un soutien appuyé aux modèles économiques de publication alternatifs à la pratique de l’abonnement payant qui remet en question des pratiques de cession exclusive des droits des auteurs aux éditeurs.
Le texte appelle ainsi à faire de l’édition publique de SHS l’objet d’une politique publique à part entière, notamment par la pérennité de son financement et de celui du portail OpenEdition et la définition d’une doctrine claire sur son rôle, mais également à veiller « tout particulièrement » à l’avenir du secteur privé de l’édition de SHS.
Il s’ensuit 16 pistes recommandations déployés selon cinq axes : le choix d’un soutien véritable à l’édition de revues de sciences humaines et sociales ; les modalités pertinentes d’une ouverture accrue de leur publication ; les leviers de politique publique à mettre en œuvre ; la nécessaire attention fine aux problématiques diverses des disciplines et des modes de publication ; et enfin la gouvernance de la politique en faveur de l’édition de revues de sciences humaines et sociales.
- Recommandation n° 1 : Impulser une politique prospective de l’édition de revues de SHS fondée sur une complémentarité privé-public indispensable à l’investissement dans la durée et au pluralisme des approches.
- Recommandation n° 2 : Reconnaître pleinement l’apport du secteur privé de l’édition dans la diffusion des travaux de la recherche en SHS en France, y compris à travers la plateforme Cairn.
- Recommandation n° 3 : Donner une ambition et une visibilité nationales à une édition publique de SHS en pleine mutation et pérenniser le soutien à OpenEdition. Accompagner les éditeurs privés français de SHS dans leurs initiatives en faveur de l’ouverture de leurs publications dans la concertation et l’anticipation
- Recommandation n° 4 : Réfléchir au « pourquoi » d’une ouverture accrue en accès libre des travaux des SHS afin de déterminer le « comment ».
- Recommandation n° 5 : Archives ouvertes : favoriser leur complémentarité avec les plateformes payantes en assurant le cas échéant leur alimentation automatisée.
- Recommandation n° 6 : Réduction de la durée des barrières mobiles : faire le bilan des expériences du plan de soutien et identifier les soutiens pérennes pertinents.
- Recommandation n° 7 : Du bon usage du « modèle Diamant », qui est l’une des voies d’avenir parmi d’autres de l’édition de SHS. Décliner l’approche de concertation et d’évaluation à tous les leviers de politique pu- blique mis en œuvre en matière d’édition de SHS
- Recommandation n° 8 : Sur l’achat public des abonnements : consolider l’investissement dans les revues de SHS, sans écarter les approches « s’abonner pour ouvrir ».
- Recommandation n° 9 : Sur le financement public des secrétariats de rédaction de revues éditées par le secteur privé : donner de la visibilité, consolider ce qui fonctionne et concerter toute évolution.
- Recommandation n° 10 : Sur les conditionnalités d’ouverture ou de rétention des droits imposées par les organismes de financement de la recherche : dresser un bilan des avantages et inconvénients propre à l’édition de SHS.
- Recommandation n° 11 : Sur les directives d’ouverture immédiate adressées aux chercheurs et enseignants chercheurs : veiller à la frontière entre incitation et obligation dans le respect des libertés académiques.
- Recommandation n° 12 : Clarifier et concerter les objectifs, les instruments et les modalités d’une éventuelle politique d’ouverture de la science en matière de livres.
- Recommandation n° 13 : Clarifier les frontières du champ académique concerné par la politique d’ouverture de la science : quid du juridique et professionnel ? Quid du débat d’idées ?
- Recommandation n° 14 : Conforter le rôle central du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en identifiant les enjeux propres aux SHS.
- Recommandation n° 15 : Articuler la politique de soutien à l’édition scientifique et les outils mis en œuvre par le ministère de la Culture et le Centre national du livre.
- Recommandation n° 16 : Faire de l’Observatoire de l’édition scientifique le lieu de la concertation en reconnaissant la priorité de traitement à accorder à l’édition de SHS et en définissant un deuxième plan de soutien ambitieux.