Historien éminent, Vincent Duclert s'est spécialisé dans des sujets « de gauche », comme l'affaire Dreyfus ou la vie de Jaurès, ainsi que dans l'étude des mouvements de pensée politique. Cela explique sans doute pourquoi, aujourd'hui, il consacre un essai à un écrivain, Albert Camus, mais envisagé sous un angle historique, politique, un travail qu'il définit lui-même comme « une enquête sur une conscience ».
C'est un livre composite, dicté à l'évidence en premier lieu par une admiration fervente et absolue. Un peu exagérée parfois. Ainsi, qualifier Camus de « dernier grand écrivain français » peut paraître injuste : à sa mort, en 1960, vivaient encore Aragon, Malraux, Sartre, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras et quelques autres très grands écrivains français. Ensuite, Vincent Duclert abandonne souvent le ton de l'historien, par définition distancié d'avec son sujet, ou son modèle s'il s'agit d'une biographie, pour donner dans le lyrisme, l'oraison funèbre. On comprend que la mère vénérée de Camus, l'humble Catherine Camus-Sintès ait dit, apprenant la mort prématurée de son fils : « C'est trop jeune. » Mais la formule revient comme un mantra.
Après quoi, Vincent Duclert synthétise le parcours de l'homme et de l'écrivain, mettant en lumière, grâce à un accès à des documents et à des archives inédits, un certain nombre d'épisodes clés : notamment son installation à Lourmarin, en 1958, grâce à René Char, dans une maison achetée avec l'argent de son tout récent prix Nobel (en 1957) ; et puis le fameux accident de voiture qui lui a coûté la vie le 4 janvier 1960, alors qu'il était amoureux de plusieurs femmes en même temps, et que l'écriture de son nouveau roman, Le premier homme, auquel il s'était remis, avançait bien. Le livre ne paraîtra, posthume, qu'en 1994, grâce au travail de romain de sa fille Catherine.
Il est aussi question ici du dernier entretien de Camus à Aix, avec des étudiants étrangers, le 14 décembre 1959, mais ses réponses n'ont guère été conservées. Egalement des pays qui constituent l'univers « camusien », largement solaire, méditerranéen : l'Algérie natale, sa « vraie patrie », même s'il était avant tout un patriote français, l'Espagne, sa « deuxième patrie », pays d'origine de sa mère. Des racines qu'il partageait avec René Char, l'ami de toujours, le « frère de planète ».
Dans un final brillant, Vincent Duclert montre toute la dimension proustienne du Premier homme, qui serait Le temps retrouvé de Camus. Et salue son engagement résolu pour l'homme, contre toute « raison d'Etat ». C'est là, en effet, que la voix de Camus nous manque cruellement.
Camus, des pays de liberté
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Tirage: 3 000 EX.
Prix: 19,50 euros ; 300 p.
ISBN: 9782234086425