Un écrivain qui pique

François Maspero photographié par Klavdij Sluban, avec qui il avait collaboré pour Balkans-Transit (Seuil, 1997, Points). - Photo Klavdij Sluban

Un écrivain qui pique

La seconde vie de Maspero, ce sera la littérature, à travers l’écriture et la traduction, solitaire ou en compagnie, mais toujours au plus près du réel.

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Par Laurent Lemire
avec Créé le 19.04.2015 à 18h42 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

Après la librairie et l’édition, François Maspero entama une autre vie consacrée à l’écriture, comme auteur et comme traducteur. Ce qu’il avait défendu comme libraire et comme éditeur, il le mit en pratique pour lui, à son compte, en amoureux de la littérature et de ceux qui dessinent avec leurs mots ce qu’il nommait des "paysages humains". Il devint donc traducteur (près de 80 livres !) de l’anglais (Joseph Conrad), de l’italien (Mario Rigoni Stern) mais surtout de l’espagnol. Dans son escarcelle hispanique et latino-américaine, il glissa Alvaro Mutis, Luis Sepúlveda, Juan Goytisolo, Eduardo Mendoza, Manuel Vázquez Montalbán, Arturo Pérez-Reverte ou Carlos Ruiz Zafón, autant de grands explorateurs du territoire de l’homme.

Comme auteur, il fut aussi un écrivain exigeant, inspiré par sa vie, ses combats, ses convictions et ses fidélités. Il publiera tous ses romans au Seuil. Dans le premier, Le sourire du chat (1984), il revient sur son enfance et l’année 1944. Le chat en question, c’est lui, le jeune garçon tapi derrière l’histoire. On y croise son frère mort au combat contre les nazis, sa mère déportée et son père, le sinologue et professeur au Collège de France, décédé à Buchenwald.

Dans tous ses livres, François Maspero se méfie de l’emphase. Il veut dire les faits comme ils sont ressentis par ses personnages, au plus près du réel et d’une guerre qui n’est jamais bien loin : celle d’Algérie qui a tant marqué ses engagements dans Le figuier (1988), celle de 39-45 qui lui a imposé de vivre avec la présence de ses morts dans Le temps des Italiens (1994), celle encore chaude dans un pays qui sort de la dictature dans La plage noire (1995), ou bien les luttes des années 1960 dans Le vol de la mésange (2006).

Ce réel, il l’explore aussi dans ses récits pour lesquels il se fait écrivain-reporter, que ce soit dans le RER en banlieue parisienne (Les passagers du Roissy-Express, Seuil, 1990) ou un peu plus loin, en Albanie, en Macédoine, en Grèce, en Bulgarie, en Roumanie ou en Bosnie (Balkans-Transit, Seuil, 1997), mais toujours avec la même conviction. "C’est peut-être cela, le pari du voyage ? Au-delà des émerveillements ou des angoisses de l’inconnu, retrouver le sentiment d’être de la même famille."

Dans la même veine, il écrit pour Le Monde, Le Monde diplomatique et part en Chine pour Radio France en 1986, toujours à la recherche de ces gens qui sont comme il disait "du côté de la vie". Quant à la guerre d’Algérie, il la racontera au travers d’un livre magnifique, L’honneur de Saint-Arnaud (Plon, 1993), qui suit l’itinéraire d’un massacreur au début de la colonisation au XIXe siècle.

Faire des piqûres de rappel à ses lecteurs pour les réveiller. Ce fut le sens de sa vie et de son autobiographie, Les abeilles & la guêpe (Seuil, 2002). Peu attiré par le mielleux, François Maspero se voyait en fin de compte plus guêpe qu’abeille. Il piqua donc pour la liberté de l’esprit, l’envie de témoigner, le besoin de rentrer dans le monde et la volonté de rendre compte de l’épaisseur d’une amitié. L. L.

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