Scolaire

Un an de réflexion

Olivier Dion

Un an de réflexion

Dans l’attente de nouveaux programmes, les éditeurs ont suspendu l’essentiel de leurs investissements dans la création de manuels, sauf pour l’enseignement technique et professionnel. Ils en profitent pour adapter leurs contenus aux tablettes tactiles. L’activité des concepteurs free-lance s’en ressent. En librairie, les répercussions de cet attentisme varient selon les régions.

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Par Hervé Hugueny
avec Créé le 17.10.2013 à 18h49

Après trois années très satisfaisantes, 2013 ouvre une période de reflux, dans l’attente de la préparation d’un nouveau cadre d’enseignement et de son entrée en vigueur, au collège et en primaire dans un premier temps. L’édition scolaire reste un secteur très cyclique, qui vit au rythme du renouvellement des programmes, justifiant celui des manuels. « Tout le monde est dans l’expectative, et rien de clair ne se dégagera avant l’installation du nouveau Conseil supérieur des programmes, qui mandatera les groupes d’experts chargés des refontes, sans doute prêtes pour 2015 », estime Célia Rosentraub, directrice générale d’Hatier (groupe Hachette). La plupart de ses confrères partagent la même hypothèse, née des dispositions de la loi de refondation de l’école actuellement en discussion au Parlement. Les enseignants ne commanderont que les livres qu’il est indispensable de remplacer - perdus ou trop abîmés. Pour 2013, les lycées d’Ile-de-France, principaux acheteurs en raison des effectifs qu’ils rassemblent, disposeront ainsi de 6 millions d’euros pour leurs acquisitions de manuels, contre 14,8 millions l’année précédente. Le conseil régional, qui vote cette subvention, a bien anticipé le reflux des besoins dans son budget. Dans les filières générales, tous les lycéens disposent en effet de livres neufs, achetés avec la réorganisation mise en œuvre de 2010 à 2012. « Même si nous avions tous en tête cette échéance, il est difficile de gérer des dilatations et des contractions d’activité aussi importantes », reconnaît Guillaume Dervieux, P-DG de Magnard-Vuibert, et DG de la maison mère, Albin Michel.

Opportunités dans le technique

Les seuls programmes en cours de renouvellement concernent les classes des bacs technologiques et professionnels. Les éditeurs concernés bénéficieront encore d’une bonne année, qui les distinguera dans les groupes dont ils font partie. Un privilège rare, tant ils ressentent par ailleurs le déficit d’attention accordé à l’enseignement des métiers. « Les lycées professionnels ou technologiques ne sont jamais le théâtre d’effets d’annonce politiques des réformes engagées par les gouvernements », remarque Caroline Boulassier, directrice du département enseignement technique et professionnel d’Hachette Education. Celle-ci maintiendra cette année encore une production soutenue avec une quarantaine de nouveautés. « Les réformes des séries STMG [sciences et technologies du management et de la gestion] et ST2S [sciences et technologies de la santé et du social]arrivent maintenant en terminale. Celles des bacs pro gestion-administration et ASSP [accompagnement, soins et services à la personne] en sont à la classe de 1re », explique de son côté Charles Bimbenet, directeur du département technique et supérieur chez Nathan (groupe Editis). Celui-ci prévoit aussi une forte année, avec 56 nouveautés, souvent en plusieurs collections. Les quelque 75 000 élèves qui passeront le bac STMG intéressent également Bertrand-Lacoste, qui présente deux collections complètes, et des éditeurs des filières générales : Bordas en maths, Hatier et Magnard en histoire-géographie, avec instruction civique pour Magnard.

La production destinée aux filières techniques et professionnelles est de toute façon abondante en raison des multiples spécialités à enseigner. Elles sont souvent traitées en deux collections, l’une de manuels et l’autre de cahiers consommables et renouvelables. « Ils correspondent à deux types de pédagogie », rappelle Charles Bimbenet ; « et à deux marchés », ajoute Caroline Boulassier, qui précise que « certaines régions qui subventionnent directement les établissements ne souhaitent financer que des manuels ». Dans celles qui aident plutôt les familles, le choix reste plus ouvert. Les ouvrages dits « consommables », à la fois manuels et cahiers, sont moins chers, mais ils sont à renouveler chaque année, qu’il y ait un nouveau programme ou non, ce qui évite les effets de cycle. « Nous anticipons aussi un refinancement des régions pour les matières générales du bac professionnel en 2de, dont les programmes et les manuels ont été changés en 2009 », ajoute Olivier Jaoui, directeur général de Foucher (Hatier, groupe Hachette). Soit des manuels d’anglais, français, histoire-géographie, maths, PSE (prévention-santé-environnement) pour un marché potentiel dépassant 200 000 élèves. Delagrave, filiale de Magnard-Vuibert consacrée à l’enseignement professionnel et dont Casteilla est devenue une des marques, sera aussi présente dans ces matières et pour ce niveau.

Belin, qui s’est aussi fait connaître dans les filières professionnelles sur ces matières, sauf en PSE, défendra ses parts de marché, a fortiori cette année qui s’annonce difficile pour les éditeurs de l’enseignement général. « 2012 avait déjà marqué un repli, souligne toutefois Sylvie Marcé, P-DG de la maison et présidente du groupe enseignement du Syndicat national de l’édition. Le primaire est resté stable mais le collège a fléchi de 3 %, et le lycée de 15 %. » Il était cependant difficile de faire mieux qu’en 2011, meilleure année du siècle avec 318 millions d’euros de chiffre d’affaires, portée par de forts renouvellements au collège en sciences humaines, et au lycée où la réforme en était à la classe de 1re. Il y avait des manuels de français en plus, avec un rattrapage pour les classes de 2de. En revanche, en 2012, il n’y avait plus d’histoire-géographie en terminale S, la plus importante en effectifs avec près de 165 000 élèves (contre 52 000 en L), mais les deux disciplines reviennent dès cette année au programme de la 1re S, après la polémique que leur suppression avait soulevée. Hachette, Hatier, Nathan publieront dans ces matières. « La production sera néanmoins en net repli par rapport à 2012, qui avait atteint des sommets », reconnaît Françoise Fougeron, directrice générale de la branche Education de Nathan.

Recul au lycée

Le recul est général au lycée, chez tous les éditeurs, qui annoncent très peu de nouveautés. Outre l’histoire, dans deux collections, et la géographie, Nathan publiera aussi en espagnol, comme Magnard. Presque tous les éditeurs sont présents en SES 2de, dont le programme a été aménagé. Hachette et Hatier reviennent pour leur part avec un manuel de philosophie, dont 30 % seulement des exemplaires avaient été renouvelés l’an dernier, estime Odile Mardon, directrice du département secondaire d’Hachette Education. Celle-ci tente en outre un ouvrage thématique de français pour la 2de intitulé Littérature et société, et des cahiers consommables en français et en maths. D’autres éditeurs profitent de ce calme forcé pour tester des domaines nouveaux. Belin publie un manuel de français dans la langue des signes, destiné aux élèves de 2de. Il pourrait intéresser un public plus large, espère Sylvie Marcé, ajoutant qu’« il s’agit aussi d’une démarche citoyenne ». Didier, spécialiste en langues, édite un manuel de chinois. Dans le cadre de l’enseignement des arts, Hatier explore une histoire du livre avec la BNF à destination du collège et du lycée. L’éditeur propose aussi du parascolaire en classe, avec des « Récits d’historiens » en 128 pages sur Voltaire et l’affaire Calas, Jules César, la Libération de Paris… « Il y a moins de manuels, mais une offre complémentaire », décrit Célia Rosentraub. « C’est une année plutôt enrichissante, avec de l’ouverture sur d’autres univers », ajoute Françoise Fougeron. « Nous avons un peu de temps pour aller dans les classes, reprendre les recherches d’auteurs », complète Isabelle Louviot, directrice générale de Didier.

La production reste plus soutenue au collège, surtout en langues. « En 2011 et 2012, le marché s’était peu ouvert. Nous espérons un report des crédits sur ces matières dans la mesure où il n’y aura pas d’achats obligatoires dans d’autres disciplines », explique Isabelle Louviot, qui publie en allemand et en anglais, tout comme Bordas. Hatier est présent en anglais (6e et 4e), Nathan en allemand, anglais et espagnol. Belin revient en anglais (6e), espagnol (4e) et italien (LV2), avec de forts investissements en production vidéo.

L’histoire des arts, dont l’enseignement a fait l’objet d’une attention particulière au ministère de la Culture, suscite des publications chez Bordas, Hatier et Nathan, avec le même espoir de voir utiliser des crédits disponibles pour des thèmes habituellement non prioritaires. Les manuels de maths sont renouvelés chez Belin (4e et 3e), Magnard, Nathan et Sésamath (édition papier chez Génération 5) pour la 6e. Bordas publie des cahiers. Le français est renouvelé chez Magnard, Nathan, et Hachette avec une collection de cahiers de la 6e, jusqu’à la 1re. Lelivrescolaire.com complète sa collection de manuels numériques gratuits, et payants sur papier, avec 7 titres en anglais, français, histoire-géographie et maths.

Belin, qui avait réalisé de très bons scores en SVT et physique-chimie, de même qu’en histoire-géographie-instruction civique, propose de nouvelles éditions dans ces disciplines « pour défendre [sa] part de marché », explique Sylvie Marcé. Magnard revient aussi avec « Tout en un » en histoire-géo-instruction civique, et retente sa chance en SVT (6e), matière que l’éditeur avait abandonné il y a quatre ans, faute de succès. « Nous voulons croire que ce ne sera pas une année blanche, sans crédit des établissements », postule Guillaume Dervieux. Belin se montre aussi très volontaire : son offre commerciale ajoute des manuels gratuits à ceux achetés dans des proportions variables selon les matières, et en français, l’éditeur propose pour 17 euros en prix public un package comprenant un cahier de travail et quatre titres de sa collection « Classico », éditée avec Gallimard, « destiné aux 25 à 30 % d’enseignants qui ne souhaitent pas travailler avec des manuels », explique Sylvie Marcé.

Le primaire n’offre pas de plus grandes perspectives de dynamisation, mais c’est habituel. « C’est le segment de marché le plus inertiel, l’impact de l’annonce d’une réforme de programme y sera sans doute plus faible, même s’il doit y avoir aussi de l’attentisme », estime Guillaume Dervieux. Les éditeurs explorent des matières moins prioritaires que le couple maths-français, que Belin, Bordas, Hatier ou Nathan n’abandonnent quand même pas. L’histoire des arts fait l’objet de manuels chez Hachette, Hatier, Magnard. L’histoire-géographie est publiée chez Magnard par niveau et non plus par cycle. Belin lance des fascicules thématiques (Le corps et la santé, La préhistoire et l’Antiquité, Le ciel et la Terre), alors que la Sedrap boucle sa série elle aussi thématique « Les reporter ». La maison, installée à Toulouse, publie une nouvelle méthode de lecture, « Tu vois, je lis », pour laquelle sera fait « un gros effort de promotion auprès des prescripteurs », annonce Gilles Brochen, directeur général. Hachette Education publie aussi une nouvelle méthode (Pilotis) et Retz complète la gamme des albums jeunesse qui font partie de sa méthode de lecture au CP, explique Philippe Champy, son directeur. La maison, rattachée à Nathan, publie aussi un cahier d’activités pour les CM2 avec Sésamath, qui a fait travailler des enseignants du collège et du primaire sur la charnière entre les deux niveaux. L’amélioration de l’enchaînement du primaire à la 6e serait un des axes de travail de la prochaine réforme.

Attendre des jours meilleurs

Les libraires vivent quant à eux cette année de repli très différemment, selon qu’ils se trouvent dans des régions à dotation centralisée aux établissements, comme l’Ile-de-France, le Centre, Provence-Alpes-Côte d’Azur, les Pays de la Loire, ou qu’ils sont implantés dans d’autres ayant opté pour le soutien aux familles, qui continuent alors d’acheter leurs livres en librairie. « C’est finalement une année simple, sans aléas, pour les librairies qui font de l’occasion en scolaire, et qui travaillent dans ces régions », juge Matthieu de Montchalin, président du Syndicat de la librairie française, et patron de L’Armitière à Rouen, en Haute-Normandie. Le conseil régional accorde une aide de 60 euros par lycéen, versé via une carte à puce. Le complément vient de la reprise des manuels par la librairie, qui les revend aux lycéens de l’année suivante. La Région Auvergne, qui distribue des chèques-livres, a aussi maintenu l’essentiel de son budget pour 2013 à 2,8 millions d’euros (2,95 millions en 2012). Mais les librairies sur Internet (Amazon, Chapitre.com, Fnac.com) s’intéressent vivement à l’achat-revente de manuels d’occasion, comme en témoignent leurs investissements publicitaires sur Google.

Pour les libraires « adjudicataires » qui répondent aux appels d’offres (adjudication) des établissements maintenant équipés, ces années sans réformes sont plus tendues. « Nous partons prospecter plus loin, indique Loïc Heydorff, gérant d’EMLS à Vitrolles (Bouches-du-Rhône). Nous nous étendons maintenant sur toute la moitié sud de la France. Au-delà de 150 à 200 km, la distance supplémentaire ne fait plus grande différence. Et nous attendons des jours meilleurs. » Thierry Damagnez, patron de Cufay, à Abbeville (Somme), qui s’est beaucoup développé dans le scolaire, est parti début avril prospecter les établissements nord-américains. LDE, à Strasbourg, qui travaille déjà sur la France entière, intensifie aussi son démarchage auprès des collèges et lycées français à l’étranger. « Leurs achats sont moins cycliques qu’en France. Mais la prospection est plus longue, et ces années creuses entraînent une débauche d’énergie supplémentaire », soupire Frédéric Fritsch, directeur général de LDE. En revanche, il affirme ne pas transiger sur le taux de remise, maintenu autour de 22 %, en raison du service de gestion des manuels proposé. « Certains établissements cherchent le maximum de remise, d’autres ont plutôt besoin de service, en fonction de la complexité de leurs filières, analyse-t-il. Il y a un marché pour les deux approches. »

Néanmoins, même dans cette année difficile, certains appels d’offres restent importants. Dans le Nord, le lycée Corot regroupe un marché public pour Douai, Cambrai, Avesnes, Valenciennes, dans une fourchette de 250 000 à 500 000 euros. Dans la même région, le lycée Paul-Hazard centralise les commandes de 25 établissements, mais sans préciser de montant. En Lorraine et en Haute-Marne, c’est le lycée Alfred-Mézières qui passe une commande collective de 460 000 euros, dont 40 000 euros pour des manuels vidéoprojetables. Les achats négociés des associations de parents d’élèves, qui interviennent dans les régions d’aide aux familles, sont plus délicats à gérer : « en octobre, une fois les livres distribués, il arrive qu’il n’y ait plus personne pour régler la facture », prévient Loïc Heydorff. <

17.10 2013

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