Roman/Etats-Unis 2 janvier Colson Whitehead

« I have a dream. » D'après Martin Luther King, « les ténèbres ne peuvent pas chasser les ténèbres, seule la lumière en est capable. » Le célèbre pasteur inspire Elwood Curtis, un homme habité par les plus sombres souvenirs. La découverte glaçante d'un « cimetière clandestin » ravive une plaie jamais oubliée. Autant de cadavres ligotés, victimes d'un violent passé lié à un lieu précis : la Nickel Academy. Les survivants se soutiennent mutuellement et exigent une enquête révélant la vérité, mais au fond, elle n'a jamais cessé de les hanter. Colson Whitehead s'empare fiévreusement de cette histoire, qui a réellement existé. Tout comme dans Underground railroad, il remue la boue d'un racisme souvent occulté. En tête du palmarès des romans étrangers préférés des libraires Livres Hebdo 2017, ce roman avait aussi été auréolé du National Book Award et du Pulitzer. Obama l'avait choisi comme livre de chevet. Nickel boys, c'est le Time qui le met en couverture. Colson Whitehead s'inscrit dans cette génération d'auteurs noirs engagés, désireux de faire la lumière sur l'Histoire et le présent de l'Amérique. Alors qu'elle incarne toujours un rêve, elle charrie son plein de cauchemars. Celui d'Elwood, par exemple. Ce garçon brillant doit tout à sa grand-mère. Elle a la carrure d'un « petit colibri », mais c'est elle qui l'a porté lorsque ses parents ont préféré l'abandonner. Femme de ménage honnête et dévouée, elle « était une survivante, mais le monde la rongeait petit à petit. » Débrouillard, son petit-fils cumule plusieurs emplois tout en se préparant à des études universitaires. Mais l'Amérique des sixties l'éveille à la lutte pour les droits civiques. Pourquoi les noirs n'ont-ils pas plus de libertés ? La tête pleine d'espoir, Elwood ne se doute pas qu'il va basculer en enfer.

Wrong time, wrong place, il est arrêté à l'aube de son envol. Direction la Nickel Academy, une école de redressement pour délinquants, située en Floride. « Salement raciste », cette « lugubre prison » - qui cache son nom - accueille principalement des élèves noirs. « L'endroit était maudit, rien que du malheur ajouté aux malheurs », comme le réalisent Elwood et ses congénères. Ici, le droit chemin est jonché de coups, de blessures, de sévices sexuels, de tortures physiques et psychologiques. Si on est noir, le traitement est décuplé. Le héros en fait les frais dès son arrivée. Une « lacération à vif » qui s'inscrira éternellement dans son corps. « Je suis coincé ici, mais j'en tirerai le meilleur parti », dit-il. Son obsession reste néanmoins de fuir. Or à la Nickel Academy, les issues sont limitées, du moins, si on tient à sortir vivant. Heureusement qu'il y a les amis, comme Turner qui rend ces heures moins pénibles. En dépit de l'injustice de leur peine, tous songent à la survie. Pas évident de continuer à rêver. La révolte gronde, mais elle se heurte au pouvoir implacable et au silence étouffant.

La trame de ce drame romanesque se permet, par moments, des sauts en avant, afin de nous montrer les adultes qu'ils vont devenir. Un tel traumatisme ne peut qu'avoir des séquelles, or chacun espère se trouver des échappatoires. Quitte à surprendre le lecteur dans un dernier sursaut. « Il faut se rappeler qui on est » et avoir « conscience de sa dignité », souligne Colson Whitehead, dont le roman militant, dénonce clairement l'Amérique de Trump, où le racisme est toujours très présent, comme l'évoque l'un des passages de son livre. « Ils nous traitent comme des sous-hommes dans notre propre pays. Depuis toujours. Et peut-être pour toujours. » Raison de plus pour tirer la sonnette d'alarme.

Colson Whitehead
Nickel boys - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Serge Chauvin
Albin Michel
Tirage: 40 000 EX.
Prix: 19.9 auros ; 288 P.
ISBN: 9782226443038

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