L'expérience a tourné court. Jeudi 16 octobre à la Foire du livre de Francfort, une intelligence artificielle conversationnelle créée spécialement pour participer à une table ronde sur le marketing éditorial s'est arrêtée de parler en milieu de débat, a constaté Livres Hebdo.
Amanda Collins, panéliste générée par ChatGPT, n'a pas pu répondre à une troisième question et a « quitté » le panel. Erin Cox, modératrice de la session « From Attention to Action : AI and Publishing Marketing », a dû poursuivre sans elle.
Cette défaillance non prévue s'est avérée révélatrice. Elle a incarné précisément l'avertissement que Ralf Biesemeier, directeur général de la branche édition numérique de Zebralution, société allemande spécialisée en technologies éditoriales, a cherché à transmettre aux éditeurs présents : l'IA n'est pas la solution miracle qu'on croit. C'est un outil imparfait, limité, tributaire de l'intervention humaine.
« N'ayez pas peur », a lancé Ralf Biesemeier en conclusion, conscient que la panne de son panéliste virtuel renforçait son propos. Cependant, « ne pas utiliser l’IA n'est pas une option », a-t-il martelé. Cette technologie suivra selon lui la même trajectoire que le web ou les réseaux sociaux. Elle ne disparaîtra pas.
Le défi central : l'attention du public
Les trois intervenants — dont Amanda Collins avant sa défaillance — se sont accordés sur le diagnostic : les éditeurs font face à une « guerre pour l'attention ». Ralf Biesemeier a résumé ainsi le problème : « Il y a trop de contenu. Il faut de la visibilité et de la pertinence, donc savoir où se trouvent vos clients et créer de la pertinence avec le bon message. Ensuite, c'est le clic et la conversion. »
L'attention est ainsi le premier maillon faible de la chaîne marketing, bien avant la concurrence avec d'autres formats médias. Comment faire connaître un livre dans un écosystème saturé où des millions de contenus concurrencent quotidiennement ?
Amanda Collins, avant de se taire, a pointé une direction : « Les modèles de langage peuvent vraiment aider en analysant de grandes quantités de données pour comprendre les préférences et les tendances des lecteurs. Cela permet aux éditeurs d'adapter leur contenu plus efficacement. », A-t-elle répondu avec une voix féminine légèrement métallique. Elle a proposé notamment d'affiner les quatrièmes de couverture en testant plusieurs versions pour mesurer ce qui résonne auprès des lecteurs potentiels. Mais Ralf Biesemeier a tempéré aussitôt. « Les outils IA actuels sont encore assez superficiels », remarque-t-il en incitant les acteurs à développer en interne leur propre outil IA, pour des raisons de praticité, droits et sécurité.
Le second obstacle : les données manquantes
Comment accéder dès lors aux données nécessaires, notamment lorsqu’on est un éditeur indépendant ? A demandé une personne du public. « Nous n'avons pas de profils de lecteurs parce que nous ne sommes pas Google. » A-t-elle partagé.
Le patron a proposé alors d’abandonner l'obsession du profil utilisateur, en analysant plutôt les contextes de consultation. « On peut tirer des données de beaucoup d'autres sources », a-t-il assuré en préconisant le ciblage contextuel plutôt que le ciblage démographique.
En conclusion, Ralf Biesemeier a délivré cette formule à propos : « L'expérience plutôt que la perfection. N'essayez pas d'être parfait parce que rien n'est parfait ». Comme la panne d'Amanda Collins, en fait liée à une erreur « humaine », puisqu'elle a été générée sur un compte gratuit de ChatGPT et est arrivée, très vite, au bout des tokens accordés. Il n'empêche, l'expérience a néanmoins rappelé aussi que cette technologie demeure fragile, imprévisible, et qu'aucun panéliste virtuel ne remplace l'expertise et le jugement humains — particulièrement précieux dans une industrie où chaque livre, chaque auteur et… chaque lecteur, est unique.