Uli Oesterle fait mourir Rufus Himmelstoss dès les toutes premières pages du livre un de Lait paternel, Les errances de Rufus Himmelstoss. C'est simple, c'est clair. De toute façon, le fils unique de Rufus, Victor, qui se trouve à son chevet en ce début du mois de juin 2005 à Munich, ne l'a pas vu depuis trente ans. Dès 1975, alors qu'il n'avait que six ans, Rufus Himmelstoss, représentant de commerce coureur, joueur et flambeur, et surtout père absent, a tout bonnement disparu. Il constitue pour son fils un mystère, que l'auteur allemand né en 1966 s'attache à dissiper dans sa troisième œuvre traduite en français après Frass (Reporter, 2002) et les trois albums de sa série Hector Umbra, rassemblés dans une intégrale en 2009 (Akiléos).
Dans un graphisme très lisible, associant à un trait fluide et expressif des à-plats de couleur savamment mesurés, Uli Oesterle restitue les circonstances, qu'on ne dévoilera pas, de la disparition de Rufus dans les années 1970. C'est une époque de discothèques, de cocaïne et de champagne qui coule à flots, une époque où la libération des mœurs bat son plein, mais souvent sur le dos des femmes et des enfants. Une époque aussi où la sécurité routière est encore balbutiante, qu'il s'agisse de l'alcoolémie au volant ou du port de la ceinture de sécurité, deux éléments qui ont ici leur importance.
Mais Uli Oesterle, qui s'est inspiré de sa relation avec son propre père pour concevoir cette histoire qui se déploiera sur quatre volumes, raconte aussi en parallèle le quotidien de Victor, jeune dessinateur de BD qui affronte trois décennies plus tard les défis de la paternité d'une manière qui ne se révèle pas si différente de celle de Rufus. Il aimerait bien être un père exemplaire, un de ces « superpères superbeaux, qui ont une patience d'ange envers leur progéniture [...], qui rentrent pile à l'heure chez eux et passent le week-end en famille ». Préférant traîner à l'atelier et lever le coude plus que de raison avec les copains, il en est loin. D'autant plus loin qu'il convoque à toute occasion les « gênes foireux » légués par son père, ou encore l'absence de modèle masculin pour justifier de choisir chaque fois face à son fils la pente la plus facile, celle de la désertion et de l'abandon.
À travers le parcours de chacun, celui de Rufus et celui de Victor, Uli Oesterle s'interroge sur les conditions de la reproduction des schémas au travers des générations. Il travaille sur les questions de transmission et de non-transmission. Il faudra attendre les tomes suivants pour savoir où il veut nous emmener.
Le lait paternel. Vol. 1. Les errances de Rufus Himmelstoss Traduit de l’allemand par Jean-Baptiste Coursaud
Dargaud
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 20,50 € ; 128 p.
ISBN: 9782205203301