De Céleste Albaret (1891-1984), on n'a longtemps pas su grand-chose. Après la mort de l'écrivain en 1922, la gouvernante et parfois secrétaire de Marcel Proust pendant près de neuf ans ouvre avec son mari, Odilon, au 14, rue des Canettes, dans le 6e arrondissement de Paris, l'hôtel Alsace Lorraine - aujourd'hui hôtel La Perle. Mais elle se refuse à évoquer le temps passé auprès de l'auteur d'À la recherche du temps perdu. Elle n'est redécouverte que dans les années 1960, avant de donner, en 1973, quarante-neuf heures d'entretien au journaliste Georges Belmont.
Chloé Cruchaudet s'est longuement plongée dans ces matériaux un peu épars. L'autrice multiprimée, entre autres pour Groenland Manhattan (Delcourt, 2008), Ida (Delcourt, 2009-2012) et surtout Mauvais genre (Delcourt, 2013), en tire, certes, un portrait de la jeune femme entrée au service de Proust à seulement 21 ans. Mais elle livre aussi une nouvelle approche de l'écrivain et de son univers à partir de l'expérience et des sentiments de la gouvernante, et de la relation qu'elle établit avec son maître.
Née en Lozère, avec pour principale compétence de n'en avoir en apparence aucune, Céleste Albaret était arrivée à Paris par hasard, suivant son mari alors taxi, basé à Levallois comme il se doit. C'est lui qui introduit son épouse chez Proust, dont il est le chauffeur attitré. D'abord décontenancée par le mode de vie décalé de l'écrivain et dandy, elle va peu à peu s'y attacher, comme lui s'attache à elle, au point que si elle est corvéable à merci, s'établit entre les deux, malgré ou à cause de cette inégalité, un lien de double dépendance.
Passent les cafés forts et les croissants dont se sustente le grand homme. Passent les séances d'écriture et de correction. Passe un séjour à Cabourg. Passent Colette, Bertrand de Jouvenel, André Gide ou Gaston Gallimard. Passent les échos de la Première Guerre mondiale... Chloé Cruchaudet picore dans la biographie de ses personnages au fil d'un trait qui virevolte brillamment parmi eux pour décrire un monde, un moment, un processus créatif aussi. Traitant ses cases comme des chromos, en gommant les frontières pour jouer avec les rêves et les fantômes, jonglant avec le temps et l'espace pour se perdre dans les fumigations par lesquelles Marcel Proust combat son asthme, convoquant quelques extraits bien choisis de la Recherche, l'autrice signe, au-delà du document, une œuvre profondément personnelle.
Céleste, vol. 1 : Bien sûr, monsieur Proust
Soleil
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 18,95 € ; 120 p.
ISBN: 9782302095700