À Gbado, ville isolée aux confins d'un pays jamais nommé, les rumeurs disent que T'zée serait en prison, voire peut-être mort. Depuis quelque temps, le pays que dirige cet autocrate corrompu est à feu et à sang, en proie aux conflits et aux violences entre armée, milices, chefs de guerre, mercenaires... Alors que les rebelles ont pris la capitale, Bobbi, la deuxième femme de T'zée, est retranchée avec sa garde rapprochée dans le palais présidentiel. S'y trouve également Hippolyte, le plus jeune des fils de T'zée, né de son premier mariage. Après avoir vécu la belle vie de la jeunesse dorée locale, il était parti faire ses études en France. Là, il a découvert les grandes figures intellectuelles africaines et afro-américaines et a ouvert les yeux sur la situation de son pays, malgré son admiration pour son père. Lui et Bobbi ne se sont jamais entendus. Pourtant, sa belle-mère se consume d'un amour pour lui qu'elle finit par avouer. Alors que Bobbi décide de reprendre le contrôle du pays et qu'Hippolyte est prêt à aller rechercher son père dans une opération commando tarantinesque, voilà que ce dernier revient au palais, acclamé. La tragédie intime et familiale va alors se nouer en parallèle de la tragédie d'un peuple. Et une dernière fête somptuaire, clôturée par un match de catch épique, métaphore du come-back de T'zée, marque la fin d'un règne, la fin des illusions.

Après Biotope (2006-2007) et Commando colonial (2008-2010), le duo Appollo-Brüno s'est reformé pour ce récit librement inspiré par la fin du règne de Mobutu au Zaïre (aujourd'hui République démocratique du Congo). Nourri de documentaires, de ses expériences sur place - il a vécu cinq ans au Zaïre - et de ses lectures, de Lieve Joris à Emmanuel Dongala, Appollo a mûri ce récit avec Brüno pendant plus de dix ans. Avec sa narration limpide et sa mise en scène virtuose, faite de flash-back et d'allers-retours entre les personnages, T'zée instille la tragédie grecque - l'Hippolyte d'Euripide (ou le Phèdre de Racine) et son triangle père/fils/belle-mère - dans l'histoire du Zaïre. Les auteurs prennent appui sur la réalité mais convoquent mythes, légendes et traditions pour en rendre l'atmosphère plus dense. Sorciers, esprits, fétiches, malédiction imprègnent ce récit cruel, dont la puissance dramatique est encore renforcée par le dessin toujours élégamment stylisé de Brüno et les couleurs crépusculaires de Laurence Croix. Porté par la complexité du personnage d'Hippolyte, T'zée est aussi une réflexion sur le déclin, déclin d'un pays et déclin d'une famille de puissants. Ne contrôlant plus rien, leur choix se réduit à la fuite, la mort ou à concentrer leur tyrannie sur ce qu'il leur reste, leur entourage.