Avant-Critique BD

Daria Schmitt, "Le bestiaire du crépuscule" (Dupuis) : Les animaux fantastiques

Le bestiaire du crépuscule - Photo © Daria Schmitt/Dupuis

Daria Schmitt, "Le bestiaire du crépuscule" (Dupuis) : Les animaux fantastiques

Remarquée pour Acqua alta, L'arbre aux pies et Ornithomaniacs, Daria Schmitt poursuit son exploration des arcanes de l'imaginaire par une plongée singulière dans l'univers d'H.P. Lovecraft.

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Par Fabrice Piault
Créé le 14.06.2022 à 11h00

Quoi de mieux qu'un grand parc pour laisser aller son imagination ? Celui, luxuriant, que met en scène Daria Schmitt dans Le bestiaire du crépuscule dans des planches riches, chargées au meilleur sens du terme, est en apparence fort paisible. Il abrite, comme tout jardin public qui se respecte, les jeux des enfants du quartier et les promenades des plus âgés. Pourtant son gardien y voit le foyer de multiples et menaçantes créatures qui s'agitent en couleur autour d'un lac sombre aux profondeurs insoupçonnées.

Pour envahissants qu'ils soient, ces animaux fantastiques, poissons et poulpe géants et protéiformes, n'apparaissent qu'à lui. Au point qu'en étant le seul à percevoir le danger qu'ils représentent, il va rapidement se trouver en porte-à-faux avec sa hiérarchie, en l'occurrence une nouvelle directrice qui d'une allure martiale parcourt à cheval son domaine. Elle entend décloisonner le parc aux « grilles trop souvent fermées » pour « ensemble construire l'avenir des espaces verts ». Et simultanément, à coups de séminaires de formation et de « team building », faire entrer son personnel dans le paradis du management et du marketing « modernes ».

Le gardien, lui, s'appelle Providence, du nom de la ville de naissance d'H.P. Lovecraft, et ce n'est pas un hasard. Avec ce nouvel album, l'autrice de Acqua alta, L'arbre aux pies et Ornithomaniacs (2010, 2013, 2017, Casterman), qui d'un titre à l'autre explore successivement toutes les arcanes de l'imaginaire, effectue une plongée assumée dans l'univers de l'écrivain américain de littérature fantastique. Bien au-delà de la citation, une nouvelle de Lovecraft, « L'étrange maison haute dans la brume », tient d'ailleurs dans l'album un rôle clé, forcément trouble.

Lovecraft en poche, Daria Schmitt ne se contente pas de parcourir les sentiers accidentés du fantastique, de l'horreur et de la mélancolie. Dans la forêt épaisse, touffue, dont elle fait surgir d'un trait fin tous les recoins, toutes les aspérités, toutes les configurations et avec elles le mystère, autour d'une poignée de personnages singuliers et attachants chacun dans son genre, se joue certes la place au présent des fantômes du passé. Mais surtout se négocient les équilibres sociaux et générationnels qui permettent, ou non, de faire société dans le monde d'aujourd'hui.

Daria Schmitt
Le bestiaire du crépuscule
Dupuis
Tirage: 18 000 ex.
Prix: 23 € ; 120 p.
ISBN: 9791034738939

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