Histoire/Royaume-Uni 27 févr. David Bates

On croyait tout savoir sur Guillaume le Conquérant. Evidemment, on se trompait. Même si les documents sont rares, les historiens trouvent encore des choses à dire sur le seul stratège qui a réussi à débarquer en Angleterre. Pour cela, David Bates multiplie les approches disciplinaires. Il en ressort un personnage complexe et une gouvernance entre colère et clémence qui auraient pu inspirer Shakespeare. Car le fils de Robert le Magnifique et d'Arlette de Falaise est shakespearien par excellence. Il en a la démesure.

Le duc de Normandie est convaincu qu'il a le droit de succéder à Edouard le Confesseur sur le trône d'Angleterre, qu'Harold est un imposteur, et le plus fort c'est qu'il parvient à convaincre les autres de cette légitimité. Il faut dire que les gens le craignent autant qu'ils le respectent. Bates cherche à comprendre, à tirer quelques traces de vérité dans cette aura hagiographique. Il remet Guillaume à sa place sans le déloger pour autant de son piédestal. Il reste fixé sur sa personnalité, sur son action, sur ce que l'on peut savoir de sa vie et ne traite pas de la Conquête normande.

Pour lui, c'est bien l'instabilité dynastique qui conduit Guillaume à l'invasion de 1066. Il veut récupérer ce qu'il considère comme son bien et non sauver un territoire d'un isolement barbare. La bataille d'Hastings donna certes naissance à une nation, mais elle fut aussi l'une des causes de la guerre de Cent Ans.

Derrière ce massif historique, il y a ce que Bates appelle un « dilemme moral ». Toute fin justifie-t-elle des moyens aussi vifs ? C'est bien ce qui surnage de cette mer biographie agitée : la violence d'un homme et d'une époque. Mais cette brutalité ne s'explique pas par le stéréotype viking de celui que Voltaire qualifiait de « bâtard échappé des pirates du Nord ». Guillaume fascine parce qu'il est alternativement législateur et tyran. Sa seule véritable tranquillité, il la partage avec Mathilde qu'il aime sincèrement et à laquelle il ne survivra que quatre ans. Pour le reste, son existence ne fut que fracas, jusqu'à ses obsèques perturbées par un incendie. Shakespearien, on vous dit...

Cette biographie a beau être ample, elle n'est pas bavarde comme on en voit encore souvent avec de longs blocs de citations et des chapitres lourds comme des bouteilles de butane. Ici, l'érudition - car bien sûr il y en a dans les quelque deux cents pages de notes et de bibliographie - se glisse dans le récit de ce grand médiéviste britannique. David Bates sait faire des incises quand il le faut et interroger ses collègues. En plein Brexit, il réussit même l'exploit de mettre d'accord les historiens des deux côtés du Channel sur cet improbable gouvernement transmanche. Car le plus souvent, le roi d'Angleterre se trouvait en Normandie. Avec ce copieux travail de vingt ans, le sujet n'est pas clos, certes. Mais il va être difficile de faire mieux avant longtemps. Et on devra partir de lui désormais pour discuter du Conquérant.

David Bates
Guillaume le Conquérant
Flammarion
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 28 euros ; 864 p.
ISBN: 9782081415485

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