"Graphomane impénitente, car écrire est ma façon de supporter le monde", se décrit Nancy Huston dans la présentation de Carnets de l’incarnation, un recueil de textes divers rédigés entre 2002 et 2015 qui paraît en même temps qu’un nouveau roman et la sortie en "Babel" de Bad girl, le récit autobiographique publié en 2014. Fictions et essais, plusieurs formes pour autant de voix, c’est ainsi que l’écrivaine franco-canadienne a construit une œuvre. Moins militante au sens classique du terme qu’offensive et d’une liberté de ton qui ne craint pas le débat. Une activiste des mots.
On la retrouve donc sur ses fronts de prédilection dans la sélection de conférences et de préfaces ainsi que dans les chroniques données au journal Le Monde en 2011 et 2012, réunis dans Carnets de l’incarnation : une reconnaissance de dettes à la philosophe féministe Annie Leclerc dans une conférence inédite à la Maison des écrivains, la préface aux Journaux de jeunesse d’Anaïs Nin et à Burqa de chair de Nelly Arcan, un portrait de la photographe américaine Diane Arbus, mais aussi un texte jamais publié écrit quelques jours après les attentats de janvier 2015 intitulé "Ni Charlie, ni Coulibaly".
Portrait de déclassés, de marginaux, d’opprimés, Le club des miracles relatifs est une sorte de parabole écologique, un roman politique, considérant que chez Nancy Huston tout, y compris le couple, la famille, l’est. Dans un pays imaginaire mais familier baptisé "L’OverNorth", on y suit dans un va-et-vient temporel le parcours chaotique de Varian MacLeod, un drôle de garçon né en 1979 d’une mère d’origine allemande et catholique et d’un père aux ascendants écossais, marin pêcheur. De "l’Ile Grise" où il grandit, enfant précoce et solitaire, chanteur de cantiques à la voix d’ange, jusqu’à Luniville dans la province de Terrebrute, une zone froide et reléguée dont la population est principalement constituée de travailleurs venus de loin, embauchés sur le site de "la compagnie d’ambroisie" AbsoBrut qui extrait des sables bitumineux.
Resté à 30 ans un jeune homme chétif et réservé, Varian est infirmier au CMR, le "Centre de Maintenance Respiratoire" des mines. Quand il parle, il ne dit pas "je" mais un distant "on" et désigne sous des noms d’animaux préhistoriques tous les artisans et complices du désastre ambiant, prédateurs et exploiteurs de tout poil. Autour de ce garçon inadapté qui subit la violence du monde, d’autres personnages comme le médecin directeur du CMR et sa sœur Leysa résistent en fabriquant ces "miracles relatifs" : lire à voix haute les grands de la littérature russe, bercer les oreilles blessées des vers de Vyssotski. Pour Varian, "[l]ire Tchekhov c’est respirer l’air pur boire de l’eau pure". Des dépolluants de l’âme. Véronique Rossignol